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Que ta patrie en pleurs, courbant son front de reine,
Put te sembler alors heureuse et souveraine.
Aujourd’hui, sous les coups du sort injurieux,
Si tu la vois encor, tu n’en crois pas tes yeux.
Ses autres ennemis, ses deuils, je veux les taire,
Mais non sa plus récente et plus dure misère,
La plus noire fortune où pût jamais déchoir
Celle qui vit alors de près son dernier soir.

Heureuse, heureuse es-tu, toi que la destinée
N’avait pas, ô grande âme, à vivre condamnée
Dans ce milieu d’horreurs ! Dante, tu n’as pas vu,
Aux bras du barbare ivre et de meurtres repu,
L’épouse italienne ! et la lance ennemie,
Et la fureur avide et jamais assouvie,
Pillant et saccageant campagnes et cités,
Semer le sol natal de leurs atrocités !
Tu n’as pas vu sortir de nos murs en ruines
Les œuvres du génie et les filles divines
De l’Art italien, et, par delà les monts,
S’en aller en exil ! et chevaux et fourgons
Encombrer nos chemins, fouler nos champs, nos gerbes !
Et l’âpre injonction aux paroles acerbes,
Et l’orgueil du vainqueur, et sa brutalité !
Tu n’as pas entendu le mot de liberté,
Sacrilège ajoutant l’ironie à l’outrage,
Sur des lèvres de fiel et que blêmit la rage,
Nous railler au bruit sourd du fouet et des fers !…
Qui n’a gémi ? quels maux n’avons-nous pas soufferts ?