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dans un coin, s’arrogerait-il de juger de l’univers et de ses lois, de tout ce que firent et dirent les anciens ? Qui est qualifié pour s’ériger ainsi en juge des choses et des intelligences ?.. La science du Principe étant tombée en oubli, les hommes n’agissant plus que d’après leurs passions, les chefs des diverses écoles s’arrogèrent ce droit de juger et de condamner tout et tous. Ils perdirent de vue l’unité primordiale, qui avait été la grande règle des anciens. Par leurs explications différentes, ils divisèrent en plusieurs la doctrine jadis une de l’empire.


B.   Parlons d’abord des sectateurs de Mei-ti. Transmettre aux générations futures des mœurs intègres, ne pas excéder pour le luxe et pour les cérémonies, éviter par une grande modération les conflits de la vie, tout cela ce sont règles des anciens. Mei-ti et son disciple K’inn-hoali s’en éprirent avec passion, et par suite les exagérèrent. Ils proscrivirent absolument la musique. Ils réduisirent à rien les règles du deuil, sous prétexte d’économie. Au nom de la charité universelle, Mei-ti enjoignit de faire tout bien à tous, et défendit tout litige, toute fâcherie. Il ne condamna pas la science, mais ordonna que le savant restât sans distinction, au même rang que le vulgaire. En ce faisant, il heurta les anciens et lui-même. ... Que les anciens estimèrent la musique, leurs symphonies, dont l’histoire nous a conservé les titres, le prouvent assez. Qu’ils voulurent, dans les funérailles, un luxe proportionné à la condition, leurs règles sur les cercueils le démontrent. Donc, quand Mei-ti interdit toute musique, et voulut que tous les cercueils fussent identiques, il heurta les anciens. Il viola aussi sa propre loi de la charité universelle, car il fit violence à la nature humaine, en prohibant les chants et les pleurs, qui sont pour l’homme un soulagement naturel indispensable. Vouloir que l’homme souffre sans cesse stoïquement, et soit enfin enterré sommairement, est-ce la charité ? Non, sans doute... Aussi les théories de Mei-ti n’eurent-elles pas le succès de celles d’autres Sages. Elles blessèrent le cœur des hommes, qui les rejetèrent. ... En vain Mei-ti en appela-t-il à l’exemple de U le Grand, qui se dévoua stoïquement pour le bien de l’empire, durant les longues années qu’il passa à canaliser les terres et à délimiter les fiefs. Sa doctrine n’en fit pas plus d’impression sur les hommes, qui laissèrent les disciples de Mei-ti s’habiller de peaux et de grosse toile, se chausser de sabots ou de souliers grossiers, se dévouer sans repos ni relâche, mettre leur perfection dans la souffrance pour l’amour du grand U, sans qu’aucune velléité ne leur vînt de les imiter. — D’ailleurs, s’ils ne s’entendirent pas avec les autres dès l’abord, bientôt les sectateurs de Mei-ti ne s’entendirent plus non plus entre eux. K’inn de Siang-li, K’ou-hoai, Ki-tch’eu, Teng-ling-tzeu et autres, prétendirent chacun être le dépositaire des véritables idées de Mei-ti, et s’attaquèrent les uns les autres. A l’instar des sophistes, ils dissertèrent sur la substance et les accidents, sur les ressemblances et les dissemblances, sur le compatible et l’incompatible. Leurs plus habiles disciples fondèrent autant de petites sectes, qu’ils espèrent devoir durer. Jusqu’à présent, leurs discussions continuent. — Somme toute, il y eut du bon, dans les intentions de Mei-ti et de K’inn-hoali, mais ils se