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réputation ; manie d’intriguer et de s’insinuer. Êtes-vous homme à faire disparaître tous ces vices ?.. Et les quatre abus suivants : démangeaison d’innover pour se rendre célèbre ; usurpation du mérite d’autrui pour s’avancer soi-même ; entêtement dans ses défauts en dépit des remontrances ; obstination dans ses idées en dépit des avertissements ; changerez-vous tout cela ?.. Quand vous l’aurez fait, alors vous pourrez commencer à exposer aux hommes vos théories sur la bonté et l’équité, avec quelque chance qu’ils y comprendront quelque chose. —   C.   Le visage altéré et soupirant d’émotion, Confucius se prosterna pour remercier de la leçon, se releva et dit : Passe que je sois un utopiste, mais je ne suis pas un malfaiteur. Alors pourquoi suis-je ainsi partout honni, persécuté, expulsé ? Qu’est-ce qui m’attire tous ces maux ? Je n’y comprends rien. — Vous n’y comprenez rien, fit le vieillard étonné ; vraiment, vous êtes bien borné. C’est votre manie de vous occuper de tous et de tout, de poser en censeur et en magister universel, qui vous attire ces tribulations. Ecoutez cette histoire : Un homme avait peur de l’ombre de son corps et de la trace de ses pas. Pour s’en délivrer, il se mit à fuir. Or, plus il fit de pas, plus il laissa d’empreintes ; quelque vite qu’il courût, son ombre ne le quitta pas. Persistant malgré tout à croire qu’il finirait par la gagner de vitesse, il courut tant et si bien qu’il en mourut. L’imbécile ! S’il s’était assis dans un lieu couvert, son corps n’aurait plus projeté d’ombre ; s’il s’était tenu bien tranquille, ses pieds n’auraient plus produit d’empreintes ; il n’avait qu’à se tenir en paix, et tous ses maux disparaissaient. ... Et vous qui, au lieu de vous tenir en paix, faites métier d’ergoter sur la bonté et l’équité, sur les ressemblances et les dissemblances, sur je ne sais quelles subtilités oiseuses, vous vous étonnez des conséquences de cette manie, vous ne comprenez pas que c’est en agaçant tout le monde que vous vous êtes attiré la haine, universelle ? Croyez-moi, du jour où vous ne vous occuperez plus que de vous-même, et vous appliquerez à cultiver votre fonds naturel ; du jour où, rendant aux autres ce qui leur revient, vous les laisserez tranquilles ; de ce jour, vous n’aurez plus aucun ennui. C’est en fermant les yeux sur vous-même, et en les ouvrant trop sur les autres, que vous vous attirez tous vos malheurs. —   D.   Tout déconfit, Confucius demanda : Qu’est-ce que mon fonds naturel ? — Le fonds naturel, dit le vieillard, c’est la simplicité, la sincérité, la droiture que chacun apporte en naissant. Cela seul influence les hommes. Personne n’est touché par un verbiage fallacieux ; par des larmes, des éclats, un pathos de comédien. Tandis que les sentiments vrais se communiquent à autrui, sans artifice de paroles ni de gestes. C’est qu’ils émanent du fonds naturel, de la vérité native. De ce fonds naissent toutes les vertus vraies, l’affection des parents et la piété des enfants, la loyauté envers le prince, la joie communicative dans les festins, la compassion sincère lors des funérailles. Ces sentiments sont spontanés et n’ont rien d’artificiel, tandis que les rites dans lesquels vous prétendez enserrer tous les actes de la vie sont une comédie factice. Le fonds naturel, c’est la part que chaque homme a reçu de la nature universelle. Son dictamen est invariable. Il est l’unique règle de conduite du Sage, qui méprise toute influence humaine. Les imbéciles font tout l’inverse. Ils ne tirent rien de leur propre fonds, et sont à la merci de l’influence d’autrui. Ils ne savent pas estimer la vérité qui est en eux, mais partagent les frivoles et volages affections du vulgaire. C’est dommage, maître, que vous ayez passé toute votre vie dans le mensonge, et n’ayez entendu que si tard exposer la vérité. —   E.   Confucius se prosterna, se releva, salua et dit : Quel