Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment de Kie) ; un brave (T’ang) l’a exécuté ; maintenant c’est au bon (Ou-koang) à monter sur le trône, conformément aux traditions des anciens… Ou-koang refusa, en ces termes : Détrôner un empereur, c’est manquer d’équité ; tuer ses sujets, c’est manquer de bonté ; profiter des crimes d’autrui, ce serait manquer de pudeur. Je m’en tiens aux maximes traditionnelles, qui interdisent d’accepter aucune charge d’un maître inique, et de fouler le sol d’un empire sans principes. Je refuse d’être honoré par vous, et ne veux plus vous voir… Cela dit, Ou-koang s’attacha une grosse pierre sur le dos et se jeta dans la rivière Lou.


J.   Jadis, à l’origine de la dynastie Tcheou, les deux princes lettrés frères, Pai-i et Chou-ts’i vivaient à Kou-tchou. Ayant appris la nouvelle du changement de dynastie, ils se dirent : Il semble qu’à l’Ouest règne un homme qui est un Sage ; allons voir ! — Quand ils furent arrivés au sud du mont K’i (à la capitale des Tcheou), l’empereur Ou les fit recevoir par son frère Tan, qui leur promit avec serment richesses et honneurs s’ils voulaient servir sa maison. Les deux frères s’entre regardèrent, sourirent de mépris, et dirent : Nous nous sommes trompés ! ce n’est pas là ce que nous cherchions… Ils avaient appris, entre temps comment s’était fait le changement de dynastie ; aussi ajoutèrent-ils : Jadis, l’empereur Chenn-noung, si dévot et si respectueux, offrait ses sacrifices pour son peuple sans faire aucune demande spéciale pour lui-même. Du gouvernement de ses sujets, auquel il s’appliquait si consciencieusement, il ne retirait pour lui-même ni gloire ni profit. Les Tcheou qui ont pris avantage de la décadence des Yinn pour envahir l’empire sont de tout autres hommes. Ils ont conspiré contre l’empereur, gagné ses sujets, employé la force. Ils jurent pour se faire croire (ce qui est contre la simplicité taoïste), ils se vantent pour plaire, ils font la guerre pour leur profit. Il est clair que le changement survenu dans l’empire a été de mal en pis. Jadis les anciens servaient en temps d’ordre, et se retiraient en temps de désordre. Actuellement, l’empire est dans les ténèbres, les Tcheou sont sans vertu. Mieux vaut, pour nous, nous retirer pour rester purs, que de nous salir au contact de ces usurpateurs. — Cette détermination prise, les deux Sages allèrent vers le Nord jusqu’au mont Cheou-yang, où ils moururent de faim. L’exemple de ces deux hommes est admirable. Richesses et honneurs leur étant inopinément offerts, ils ne se laissèrent pas séduire, ils ne dévièrent pas de leurs nobles sentiments, qui peuvent se résumer en cette maxime, ne pas s’asservir au monde.