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temps. — Le sur-homme s’accommode des époques et des circonstances. Il n’est pas excentrique, ni misanthrope, ni intrigant. Il se prête aux hommes, sans se donner. Il laisse penser et dire, ne contredit pas, et garde son opinion.


I.   À condition qu’il n’y ait pas d’obstacle, l’œil voit, l’oreille entend, le nez sent, la bouche goûte, le cœur perçoit, l’esprit produit les actes convenables. Dans toute voie, l’essentiel est qu’il n’y ait pas d’obstruction. Toute obstruction produit étranglement, arrêt des fonctions, lésion de la vie. — Pour leurs actes vitaux, les êtres dépendent du souffle. Si ce souffle n’est pas abondant dans un homme, la faute n’en est pas au ciel, qui jour et nuit l’en pénètre ; elle est en lui, qui obstrue ses voies, par des obstacles physiques ou moraux. — Pour la conception, le creux de la matrice doit être bien perméable à l’influx du ciel, ce qui suppose la perméabilité de ses deux avenues (les deux trompes). Pour l’entretien de la vie, le creux du cœur doit être bien perméable à l’influx du ciel, ce qui suppose la perméabilité de ses six valves. Quand une maison est encombrée, la belle-mère et la belle-fille, manquant d’espace, se disputent. Quand les orifices du cœur sont obstrués, son fonctionnement devient irrégulier. — La vue de la beauté séduit l’esprit. La valeur dégénère en ambition, l’ambition en brutalité, la prudence en obstination, la science en disputes, la plénitude en pléthore. Le bien public a produit l’administration et le fonctionnarisme. — Au printemps, sous l’action combinée de la pluie et du soleil, les herbes et les arbres poussent luxuriants. La faux et la serpe en retranchent une moitié ; l’autre reste. Ni les retranchés, ni les restés, ne savent le pourquoi de leur sort. Fatalité !


J.   Le repos refait la santé, la continence répare l’usure, la paix remédie à l’énervement. Ce sont là remèdes curatifs. Mieux vaudraient les préventifs. — Les procédés sont différents. L’homme transcendant a les siens. Le Sage ordinaire a les siens. Les habiles gens ont les leurs. Gouvernants et administrés ont leurs principes. — K. Un même procédé ne produit pas toujours le même résultat. À la capitale de Song, le père du gardien de la porte Yen-menn étant mort, son fils maigrit tellement de douleur qu’on jugea devoir donner la charge de maître des officiers à ce parangon de la piété filiale. Ce que voyant, d’autres firent comme lui, n’obtinrent aucune charge et moururent de phtisie. — Pour éviter le trône, Hu-You se contenta de fuir, Ou-koang crut devoir se suicider. Déçus dans leur ambition, Ki-t’ouo s’exila, Chenn-t’ou-ti se noya.


L.   Quand le poisson est pris, on oublie la nasse. Quand le lièvre est capturé, le piège n’a plus d’intérêt. Quand l’idée est transmise, peu importent les mots qui ont servi à la convoyer. Combien (moi Tchoang-tzeu) je voudrais n’avoir affaire qu’à des hommes pour lesquels les idées seraient tout, les mots n’étant rien[1].


  1. Ce paragraphe est l'exorde disloqué du chapitre suivant.