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Voici le fait : Après la mort du duc, on consulta la tortue sur le lieu où il faudrait l’ensevelir. La réponse fut : pas dans le cimetière de sa famille, mais à Cha-k’iou. Quand on creusa sa fosse à l’endroit indiqué, au fond on trouva une sépulture antique. La dalle qui la fermait ayant été amenée au jour et lavée, on y lut cette inscription : ni toi ni ta postérité ne reposera ici, car le duc Ling y prendra votre place. L’épithète Ling lui était donc décernée par le destin, voilà pourquoi on la lui donna. ... Conclusion, la vérité historique, elle aussi, n’est solide que quand elle dérive du Principe.


J.   Chao-tcheu demanda à T’ai-koung-tiao : Qu’est-ce que les maximes des hameaux ? — Les hameaux, dit T’ai-koung-tiao, ce sont les plus petites agglomérations humaines, d’une dizaine de familles, d’une centaine d’individus seulement, formant un corps qui a ses traditions. Ces traditions n’ont pas été inventées tout d’un coup, a priori. Elles ont été formées par les membres distingués de la communauté, par addition d’expériences particulières ; comme une montagne est faite de poignées de terre, un fleuve de nombreux filets d’eau. L’expression verbale de ces traditions est ce qu’on appelle les maximes des hameaux. Elles font loi. Tout va bien dans l’empire, à condition qu’on leur laisse leur libre cours. Tel le Principe, indifférent, impartial, laisse toutes les choses suivre leur cours, sans les influencer. Il ne prétend à aucun titre (seigneur, gouverneur). Il n’agit pas. Ne faisant rien, il n’est rien qu’il ne fasse (non en intervenant activement, mais comme norme évolutive contenue dans tout). En apparence, à notre manière humaine de voir, les temps se succèdent, l’univers se transforme, l’adversité et la prospérité alternent. En réalité, ces variations, effets d’une norme unique, ne modifient pas le tout immuable. Tous les contrastes trouvent place dans ce tout, sans se heurter ; comme, dans un marais, toute sorte d’herbes voisinent ; comme, sur une montagne, arbres et rochers sont mélangés. Mais revenons aux maximes des hameaux. Elles sont l’expression de l’expérience, laquelle résulte de l’observation des phénomènes naturels. — Alors, dit Chao-tcheu, pourquoi ne pas dire que ces maximes sont l’expression du Principe ? — Parce que, dit T’ai-koung-tiao, comme elles ne s’étendent qu’au champ des affaires humaines, ces maximes n’ont qu’une étendue restreinte, tandis que le Principe est infini. Elles ne s’étendent même pas aux affaires des autres êtres terrestres, dont la somme est à l’humanité comme dix mille est à un. Au dessus des êtres terrestres sont le ciel et la terre, l’immensité visible. Au dessus du ciel et de la terre sont le yinn et le yang, l’immensité invisible. Au dessus de tout est le Principe, commun à tout, contenant et pénétrant tout, dont l’infinité est l’attribut propre, le seul par lequel on puisse le désigner, car il n’a pas de nom propre. — Alors, dit Chao-tcheu, expliquez-moi comment tout ce qui est sortit de cet infini ? — T’ai-koung tiao dit : Émanés du Principe, le yinn et le yang s’influencèrent, se détruisirent, se reproduisirent réciproquement. De là le monde physique, avec la succession des saisons, qui se produisent et se détruisent les unes les autres. De là le monde moral, avec ses attractions et ses répulsions, ses amours et ses haines. De là la distinction des sexes, et leur union pour la procréation. De là certains états corrélatifs et successifs, comme l’adversité et la prospérité, la sécurité et le danger. De là les notions abstraites, d’influence mutuelle, de causalité réciproque, d’une certaine évolution circulaire dans laquelle les commencements succèdent aux terminaisons. Voilà à peu près ce qui, tiré de l’observation, exprimé en paroles, constitue la somme des connaissances