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que je n’élève pas de troupeaux, une brebis est venue mettre bas dans ma maison. Alors que je ne chasse pas, une caille y a installé son nid. Ne sont-ce pas là des faits étranges ? J’ai bien peur que mon fils n’ait aussi un étrange avenir. Je lui aurais souhaité de vivre comme moi libre entre le ciel et la terre, se réjouissant comme moi des bienfaits du ciel et se nourrissant des fruits de la terre. Je ne lui souhaite pas plus qu’à moi d’avoir des affaires, des soucis, des aventures. Je lui souhaite, comme à moi, de monter si haut dans la simplicité naturelle qu’aucune chose terrestre ne puisse plus lui faire impression. J’aurais voulu que, comme moi, il s’absorbât dans l’indifférence, non dans l’intérêt. Et voilà que vous lui prédites une rétribution des plus vulgaires. Cela suppose qu’il aura rendu des services très vulgaires. Le présage est donc néfaste. Fatalité inévitable, probablement, car, ni mon fils ni moi n’ayant péché, ce doit être un décret du destin. Voilà pourquoi je pleure. — Plus tard, et la prédiction du devin, et les appréhensions du père, se réalisèrent, en cette manière : Tzeu-k’i ayant envoyé son fils Kounn dans le pays de Yen, des brigands le prirent sur la route. Comme il leur eût été difficile de le vendre comme esclave étant entier, ils lui coupèrent un pied, puis le vendirent dans la principauté Ts’i, où il devint inspecteur de la voirie dans la capitale. Jusqu’à la fin de sa vie, il mangea sa part de la desserte du prince de Ts’i, comme le devin l’avait prédit ; en proie aux plus vils soucis, comme son père l’avait prévu.


K.   Nie-k’ue ayant rencontré Hu-pou, lui demanda : où allez-vous ainsi ? — Je déserte, dit celui-ci, le service de l’empereur Yao. — Pourquoi cela ? demanda Nie-k’ue. — Parce que cet homme se rend ridicule avec sa bonté affectée. Il croit faire merveille en attirant les hommes. Quoi de plus banal que cela ? Montrez de l’affection aux hommes, et ils vous aimeront ; faites leur du bien, et ils accourront ; flattez les, et ils vous exalteront ; puis, au moindre déplaisir, ils vous planteront là. Certes la bonté attire ; mais les attirés viennent pour l’avantage qui leur en revient, non pour l’amour de celui qui les traite bien. La bonté est une machine à prendre les hommes, analogue aux pièges à oiseaux. On ne peut pas, avec un même procédé, faire du bien à tous les hommes, dont les natures sont si diverses. Yao croit, avec sa bonté, faire du bien à l’empire, alors qu’il le ruine. C’est qu’il voit, lui, de l’intérieur, et s’illusionne. Les Sages qui considèrent de l’extérieur ont vu juste dans son cas. — Notons, parmi les natures diverses des hommes, les trois classes suivantes, les veules, les collants, les liants. ... Les veules apprennent les sentences d’un maître, se les assimilent, les répètent, croyant dire quelque chose, alors que, simples perroquets, ils ne font que réciter. ... Les collants s’attachent à qui les fait vivre, comme ces poux qui vivent sur les porcs. Un jour vient où le boucher, ayant tué le porc, le flambe. Il en arrive parfois autant aux parasites d’un patron. ... Le type des liants, fut Chounn.