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instance issu de l’être sensible. Il est nécessairement issu du non-être de forme. Ce non-être de forme est l’unité, le Principe. Voilà le secret des Sages, le pépin de la science ésotérique. — Dans leurs dissertations sur l’origine, ceux des anciens qui atteignirent un degré supérieur de science émirent trois opinions. Les uns pensèrent que, de toute éternité, fut l’être défini, infini, auteur de tous les êtres limités. Les autres, supprimant l’être infini, pensèrent que, de toute éternité, des êtres limités existèrent, passant par des phases alternatives de vie et de mort. D’autres enfin pensèrent que d’abord fut le néant de forme (l’être indéfini infini), duquel émanèrent tous les êtres définis, avec leurs genèses et leurs cessations. Être indéfini, genèse, cessation, ces trois termes se tiennent, comme la tête, la croupe et la queue d’un animal. Moi (Tchoang-tzeu) je soutiens cette thèse. Pour moi l’être indéfini, tous les devenirs, toutes les cessations, forment un complexe, un tout. Je mets ma main dans la main de ceux qui pensent ainsi. Cependant, à la rigueur, les trois opinions susdites pourraient se concilier. Elles sont parentes, comme branches d’un même arbre. — L’être particulier est à l’être indéfini ce que la suie (dépôt palpable) est à la fumée (type de l’impalpable). Quand la suie se dépose, il n’y a pas eu de production nouvelle, mais seulement un passage de l’impalpable au palpable, la suie étant de la fumée concrète. Et de même, si cette suie se redissipe en fumée, il n’y aura encore eu qu’une conversion, sans modification essentielle. Je sais que le terme conversion que j’emploie, pour exprimer la succession des vies et des morts dans le sein du Principe, n’est pas vulgaire ; mais il me faut dire ainsi, sous peine de ne pas pouvoir m’exprimer. ... Les membres disjoints d’un bœuf sacrifié, sont une victime. Plusieurs appartements, sont un logis. La vie et la mort sont un même état. De la vie à la mort, il n’y a pas transformation, il y a conversion. Les philosophes s’échauffent, quand il s’agit de définir la différence entre ces deux états. Pour moi, il n’y a pas de différence ; les deux états n’en sont qu’un.


F.   En cas de heurt, plus le heurté vous tient de près, moins on lui fait d’excuses. On demande pardon au paysan étranger à qui l’on a marché sur le pied ; mais le père ne demande pas pardon à son fils, dans la même occurrence. L’apogée des rites, c’est de n’en pas faire. L’apogée des convenances, c’est de se moquer de tout. L’apogée de l’intelligence, c’est de ne penser à rien. L’apogée de la bonté, c’est de ne rien aimer. L’apogée de la sincérité, c’est de ne pas donner d’arrhes. Il faut réprimer les écarts des appétits. Il faut corriger les aberrations de l’esprit. Il faut écarter tout ce qui gêne le libre influx du Principe. Vouloir être noble, riche, distingué, respecté, renommé, avantagé, voilà les six appétits. L’air, le maintien, la beauté, les arguments, la respiration, la pensée, voilà ce qui cause les aberrations de l’esprit. L’antipathie, la sympathie, la complaisance, la colère, la douleur, la joie, voilà ce qui gêne le libre influx du Principe. Répulsion et attraction, prendre et donner, savoir et pouvoir, autant d’obstacles. L’intérieur duquel ces vingt-quatre causes de désordre ont été éliminées devient réglé, calme, lumineux, vide, non-agissant et pouvant tout. — Le Principe est la source de toutes les facultés actives, la vie est leur manifestation, la nature particulière est une modalité de cette vie, ses mouvements sont les actes, les actes manqués sont les fautes. — Les savants devisent et spéculent ; et, quand ils n’arrivent pas à voir plus clair, ils font comme les petits enfants et regardent un objet. —