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vital accumulé dans le haut du corps (excès de yang) ne peut pas descendre, l’homme devient irascible. Quand l’esprit vital accumulé dans le bas du corps (excès de yinn) ne peut pas monter, l’homme devient oublieux. Quand l’esprit vital accumulé dans le centre, ne peut ni monter ni descendre, alors l’homme se sent malade (son cœur étant obstrué, dit la glose). C’est là votre cas : trop de concentration ; distrayez vous ! — Peut-être bien, fit le duc ; mais, dites-moi, n’y a-t-il pas des spectres ? — Si fait, dit l’officier. Il y a le Li des égouts, le Kie des chaufferies, le Lei-t’ing des fumiers. Il y a, au nord est, le P’ei-ah et le Wa-loung ; au nord-ouest, le I-yang. Dans les eaux, il y a le Wang-siang ; sur les collines, le Tchenn : dans les montagnes, le K’oei : dans les steppes, le P’ang-hoang ; dans les marais, le Wei-t’ouo[1]. — Ah ! fit le duc, qui avait vu son spectre près d’un marais, comment est fait le Wei-t’ouo ? — Il est épais, dit Kao-nao, comme un essieu, long comme un timon, vêtu de violet et coiffé de rouge. Il n’aime pas le roulement des chars. Quand il l’entend, il se dresse en se bouchant les oreilles. Son apparition est faste. Celui qui l’a vu devient hégémon (la grande ambition du duc de Ts’i). — Ah ! dit le duc, en riant aux éclats ; c’est bien le Wei t’ouo que j’ai vu. — Aussitôt il se mit à sa toilette, continuant à causer avec l’officier. Avant le soir, il se trouva complètement guéri, par suggestion, sans avoir pris aucune médecine[2].


H.   Ki-sing-tzeu dressait un coq de combat, pour l’empereur Suan de la dynastie Tcheou[3]. Au bout de dix jours, comme on lui en demandait des nouvelles, il répondit : le dressage n’a pas encore abouti ; l’animal est encore vaniteux et volontaire. — Dix jours plus tard, interrogé de nouveau, il dit : — Pas encore ; l’animal répond encore au chant des autres coqs, et s’émeut à leur vue. — Dix jours plus tard, interrogé de nouveau, il dit : — Pas encore ; il est encore trop passionné, trop nerveux. — Dix jours plus tard, interrogé de nouveau, il dit : — Ça y est ! Le chant et la vue de ses semblables ne l’émeuvent pas plus que s’il était de bois. Il est prêt maintenant. Aucun coq ne tiendra devant lui[4].


I.   Confucius admirait la cataracte de Lu leang[5]. Tombant de trente fois la hauteur d’un homme, elle produisait un torrent écumant dans un chenal long de quarante stades, si tourmenté que ni tortue ni caïman, ni poisson même, ne pouvait s’y ébattre. Soudain Confucius vit un homme qui nageait parmi les remous. Le prenant pour un désespéré qui avait voulu se noyer, il dit à ses disciples de suivre la berge, pour le retirer de l’eau, si possible. Quelques centaines de pas plus bas, l’homme sortit de l’eau lui-même, dénoua sa chevelure pour la faire sécher, et se mit à marcher en chantant. Confucius l’ayant rejoint, lui dit : J’ai failli vous prendre pour un être transcendant, mais maintenant je vois que vous êtes un homme. Comment peut-on arriver à se mouvoir dans l’eau avec une aisance pareille ? Veuillez me dire votre secret. — Je n’ai pas de secret, dit l’homme. Je commençai par nager méthodiquement ; puis la chose me devint naturelle ; maintenant je flotte

  1. Folklore du temps. Le Wei-t’ouo, alias Wei-i.
  2. La santé et la raison sont des résultantes de l’équilibre parfait de la nature. Les spectres sont subjectifs, non objectifs. Extériorisation de désordres intérieurs, comme les rêves, les hallucinations, etc.
  3. Comparez Lie-tzeu chapitre 2 Q.
  4. Glose : Il est concentré en un, sur une chose. Son activité rentrée est fondue avec son principe vital.
  5. Comparez Lie-tzeu chapitre 2 I.