Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire écouteraient émerveillés. C’est que les poissons vivent dans l’eau, et les hommes y meurent. La nature des êtres étant diverse, leurs goûts ne sont pas les mêmes. Même entre hommes, il y a des différences, ce qui plaît aux uns ne plaisant pas aux autres. Aussi les anciens Sages ne supposaient-ils pas à tous les hommes la même capacité, et n’employaient-ils pas n’importe qui pour n’importe quoi. Ils classaient les hommes d’après leurs œuvres, et les traitaient selon leurs résultats. Cette juste appréciation des individus, est condition de tout succès. Si Yen-Hoei apprécie bien le marquis de Ts’i et lui parle en conséquence, il réussira ; sinon, il périra.


F.   Comme Lie-tzeu, qui voyageait, prenait son repas au bord du chemin, il aperçut un vieux crâne[1], le ramassa et lui dit : Toi et moi savons ce qui en est de la mort et de la vie ; que cette distinction n’est pas réelle, mais modale seulement ; qu’il ne faut pas dire de toi que tu reposes, et de moi que je remue ; la roue tournant et les transformations se succédant sans cesse. Les germes de vie sont nombreux et indéterminés. Tel germe deviendra nappe de lentilles d’eau s’il tombe sur un étang, tapis de mousse s’il est jeté sur une colline. S’élevant, la mousse devient le végétal ou tsu, dont la racine se convertit en vers, les feuilles se changeant en papillons. Ces papillons produisent une larve, qui vit sous les âtres, et qu’on appelle k’iu-touo. Après mille jours, ce k’iu-touo devient l’oiseau k’ien-u-kou, dont la salive donne naissance à l’insecte sen-mi. Celui ci devient cheu-hi, puis meou-joei, puis fou-k’uan. ... Les végétaux yang-hi et pou-sunn sont deux formes alternantes. Des vieux bambous sort l’insecte ts’ing-ning, qui devient léopard, puis cheval, puis homme. L’homme rentre dans le métier à tisser de la révolution universelle incessante. À leur tour, tous les êtres sortent du grand métier cosmique, pour y rentrer à leur heure ; et ainsi de suite[2].

Chap. 19. Sens de la vie.

A.   Celui qui a pénétré le sens de la vie ne se donne plus de peine pour ce qui ne contribue pas à la vie. Celui qui a pénétré la nature du destin ne cherche plus à scruter cette entité inscrutable. Pour entretenir le corps, il faut employer les moyens convenables ; sans excès cependant, car tout excès est inutile. Il faut de plus s’efforcer d’entretenir l’esprit vital, sans lequel c’en est fait du corps. L’être vivant n’a pas pu s’opposer à son vivifiement (lors de sa naissance) ; il ne pourra pas s’opposer davantage à ce que un jour (lors de sa mort) la vie ne se retire de lui. Le vulgaire s’imagine que,

  1. Comparez Lie-tzeu chap. 1 E, et ci dessus D.
  2. Transformisme taoïste ; comparez Lie-tzeu chap. 1 E. Pas de mort et pas de vie. Des germes indestructibles, qui constituent les individus ; mais transformation continuelle des formes, du revêtement sensible de ces individus.