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Allons ! oubliez votre esprit, oubliez votre corps, et vous aurez fait le premier pas dans la voie de la sagesse. Que si vous êtes incapable de vous amender vous-même, de quel droit prétendez vous amender l’empire ? Maintenant allez-vous en ! vous m’avez fait perdre assez de temps ! — Tzeu-koung s’en alla, pâle d’émotion. Il ne se remit, qu’après avoir fait trente stades. Alors les disciples qui l’accompagnaient lui demandèrent : — Qu’est-ce que cet homme, qui vous a ainsi troublé ? — Ah ! dit Tzeu-koung, jusqu’ici je croyais qu’il n’y avait dans l’empire qu’un seul homme digne de ce nom, mon maître Confucius. C’est que je ne connaissais pas celui-là. Je lui ai expliqué la théorie confucéiste de la tendance au but, par le moyen le plus commode, avec le moindre effort. Je prenais cela pour la formule de la sagesse. Or il m’a réfuté et m’a donné à entendre que la sagesse consiste dans l’intégration des esprits vitaux, la conservation de la nature, l’union au Principe. Ces vrais Sages ne différent pas du commun extérieurement ; intérieurement leur trait distinctif est l’absence de but, laisser s’écouler la vie sans vouloir savoir vers où elle coule. Tout effort, toute tendance, tout art, est pour eux l’effet d’un oubli de ce que l’homme doit être. Selon eux, l’homme vrai ne se meut que sous l’impulsion de son instinct naturel. Il méprise également l’éloge et le blâme, qui ne lui profitent ni ne lui nuisent. Voilà la sagesse stable, tandis que moi je suis ballotté par les vents et les flots. — Quand il fut revenu dans la principauté de Lou, Tzeu-koung converti au Taoïsme raconta son aventure à Confucius. Celui-ci dit : Cet homme prétend pratiquer ce qui fut la sagesse de l’âge primordial. Il s’en tient au principe, à la formule, affectant d’ignorer les applications et les modifications. Certes, si dans le monde actuel il y avait encore moyen de vivre sans penser et sans agir, uniquement attentif au bien-être de sa personne, il y aurait lieu de l’admirer. Mais nous sommes nés, toi et moi, dans un siècle d’intrigues et de luttes, où la sagesse de l’âge primordial ne vaut plus qu’on l’étudie, car elle n’a plus d’applications.


L.   Tch’ounn-mang, allant vers l’océan oriental, rencontra Yuan-fong, qui lui demanda : Maître, où allez-vous ? — À la mer, dit Tch’ounn-mang. — Pourquoi ? demanda Yuan-fong. — Parce qu’elle est l’image du Principe, dit Tch’ounn-mang. Toutes les eaux y confluent, sans la remplir. Toutes les eaux en sortent, sans la vider. Comme les êtres sortent du Principe et y retournent. Voilà pourquoi je vais à la mer. — Et l’humanité, demanda Yuan-fong, qu’en pensez-vous ? Qu’est-ce que la politique des Sages inférieurs, confucéistes ? — C’est, dit Tch’ounn-mang, faire du bien à tous, favoriser tous les talents, réglementer l’empire et se faire obéir, voilà la politique des Sages de cette espèce. — Et la politique des Sages taoïstes, qui collaborent avec l’influx cosmique ? demanda Yuan-fong. — C’est, dit