Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/636

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tchee ?


D.   Non, égalât-il Tseng-chenn et Cheu-ts’iou, je ne dirai pas de bien de celui qui a violenté sa nature en pratiquant la bonté et l’équité. Je ne dirai pas de bien de celui qui s’est appliqué à l’étude des saveurs, ou des sons, ou des couleurs, fût-il célèbre comme U-eull, comme Cheu-k’oang, comme Li-tchou. Non, l’homme n’est pas bon parce qu’il pratique la bonté et l’équité artificielles ; il est bon par l’exercice de ses facultés naturelles. Fait bon usage du goût celui qui suit ses appétits naturels. Fait bon usage de l’ouïe celui qui écoute son sens intime. Fait bon usage de la vue celui qui ne regarde que soi-même. Ceux qui regardent et écoutent autrui prennent fatalement quelque chose de la manière et des jugements d’autrui, au détriment de la rectitude de leur sens naturel. Du moment qu’ils ont aberré de leur rectitude naturelle, qu’ils soient réputés brigands comme Tchee ou sages comme Pai-i, peu m’importe ; ce ne sont, à mes yeux, que des dévoyés. Car, pour moi, la règle, c’est la conformité ou la non conformité à la nature. La bonté et l’équité artificielles me sont aussi odieuses que le vice et la dépravation.

Chap. 9. Chevaux dressés.

A.   Les chevaux ont naturellement des sabots capables de fouler la neige, et un poil impénétrable à la bise. Ils broutent l’herbe, boivent de l’eau, courent et sautent. Voilà leur véritable nature. Ils n’ont que faire de palais et de dortoirs. ... Quand Pai-lao, le premier écuyer, eut déclaré que lui seul s’entendait à traiter les chevaux ; quand il eut appris aux hommes à marquer au fer, à tondre, à ferrer, à brider, à entraver, à parquer ces pauvres bêtes, alors deux ou trois chevaux sur dix moururent prématurément, par suite de ces violences faites à leur nature. Quand, l’art du dressage progressant toujours, on leur fit souffrir la faim et la soif pour les endurcir ; quand on les contraignit à galoper par escadrons, en ordre et en mesure, pour les aguerrir ; quand le mors tourmenta leur bouche, quand la cravache cingla leur croupe ; alors, sur dix chevaux, cinq moururent prématurément, par suite de ces violences contre nature. — Quand le premier potier eut annoncé qu’il s’entendait à traiter l’argile, on fit de cette matière des vases ronds sur la roue et des briques rectangulaires au moule. — Quand le premier charpentier eut déclaré qu’il s’entendait à traiter le bois, on donna à cette matière des formes courbes ou droites, au moyen du pistolet et du cordeau. — Est ce là vraiment traiter les chevaux, l’argile et le bois, d’après leur nature ? Certes non ! Et cependant, d’âge en âge, les hommes ont loué le premier écuyer, le premier potier et le premier charpentier, pour leur génie et leurs inventions.

B.   On loue de même, pour leur génie et leurs inventions, ceux qui imaginèrent la forme de gouvernement moderne. C’est là une