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a rompu avec tout le reste, pour adhérer uniquement au ciel. Celui-là seul devrait être appelé Sage par les hommes. Trop souvent, qui est appelé Sage par les hommes n’est qu’un être vulgaire quant au Ciel.


H.   Yen-Hoei demanda à Tchoung-ni (Confucius) : Quand la mère de Mong-sounn-ts’ai fut morte, lors de ses funérailles, son fils poussa les lamentations d’usage sans verser une larme, et fit toutes les cérémonies sans le moindre chagrin. Néanmoins, dans le pays de Lou, il passe pour avoir satisfait à la piété filiale. Je n’y comprends rien. — Il a en effet satisfait, répondit Confucius, en illuminé qu’il est. Il ne pouvait pas s’abstenir des cérémonies extérieures, cela aurait trop choqué le vulgaire ; mais il s’abstient des sentiments intérieurs du vulgaire, que lui ne partage pas. Pour lui, l’état de vie et l’état de mort sont une même chose ; et il ne distingue, entre ces états, ni antériorité ni postériorité, car il les tient pour chaînons d’une chaîne infinie. Il croit que les êtres subissent fatalement des transformations successives, qu’ils n’ont qu’à subir en paix, sans s’en préoccuper. Immergé dans le courant de ces transformations, l’être n’a qu’une connaissance confuse de ce qui lui arrive. Toute vie est comme un rêve. Toi et moi qui causons à cette heure, nous sommes deux rêveurs non réveillés… Donc, la mort n’étant pour Mongsounn-ts’ai qu’un changement de forme, elle ne vaut pas que l’on s’en afflige ; pas plus que de quitter une demeure qu’on n’a habitée qu’un seul jour. Cela étant, il se borna strictement au rite extérieur. Ainsi il ne choqua, ni le public, ni ses convictions. — Personne ne sait au juste ce par quoi il est lui, la nature intime de son moi. Le même homme qui vient de rêver qu’il est oiseau planant dans les cieux, rêve ensuite qu’il est poisson plongeant dans les abîmes. Ce qu’il dit, il ne peut pas se rendre compte, s’il le dit éveillé ou endormi. Rien de ce qui arrive ne vaut qu’on s’en émeuve. La paix consiste à attendre soumis les dispositions du Principe. À l’heure de son départ de la vie présente, l’être rentre dans le courant des transformations. C’est là le sens de la formule : entrer dans l’union avec l’infini céleste[1].


I.   I-eull-tzeu ayant visité Hu-You[2], celui-ci lui demanda ce que Yao lui avait appris. — Il m’a dit, dit I-eull-tzeu, de cultiver la bonté et l’équité, de bien distinguer le bien et le mal. — Alors, demanda Hu-You, pourquoi venez-vous à moi maintenant ? Après que Yao vous a imbu de ses principes terre à terre, vous n’êtes plus capable d’être élevé à des idées plus hautes. — C’est pourtant mon désir, dit I-eull-tzeu. — Désir irréalisable, dit Hu-You. Un homme dont les yeux sont crevés ne peut rien apprendre des couleurs. — Vous en avez, dit I-eull-tzeu, réformé d’autres qui étaient déformés ; pourquoi ne réussiriez-vous pas à me réformer aussi ? — Il y a peu d’espoir, dit Hu-You. Cependant, voici le sommaire de ma doctrine : Ô Principe ! Toi qui donnes à tous les êtres ce qui leur convient, tu n’as jamais prétendu être appelé équitable. Toi dont les bienfaits s’étendent à tous les temps, tu n’as jamais prétendu être appelé charitable. Toi qui fus avant l’origine, et qui ne prétends pas être appelé vénérable ; toi qui enveloppes et supportes l’univers, produisant toutes les formes, sans prétendre être appelé habile ; c’est en toi que je me meus.

  1. Avec le Ciel, la Nature, le Principe, ajoute la Glose.
  2. Comparez chapitre 1 D.