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Rien n’est dangereux, comme les paroles produites par la passion. Elles peuvent en venir à ressembler aux fureurs de la bête aux abois. Elles provoquent la rupture des négociations, la haine et la vengeance. Aussi les Règles du parler disent-elles : N’outrepassez pas votre mandat. N’insistez pas trop fort, par désir de réussir. Ne tâchez pas d’obtenir plus que vous ne devez demander. Sans cela, vous ne ferez rien de bon, et vous vous mettrez en danger. Mais, toute passion étant évitée, faites votre devoir, le cœur dégagé. Advienne que pourra ! Aiguillonnez-vous sans cesse, en vous demandant : comment ferai-je pour répondre aux bontés de mon prince ? Enfin soyez prêt à faire le sacrifice le plus difficile, celui de la vie, s’il le faut. Voilà mon conseil.


C.   Autre leçon de modération taoïste. — Le philosophe Yen-ho de Lou ayant été désigné pour être le précepteur du fils aîné du duc Ling de Wei, demanda conseil à Kiu-paiu. Mon élève, lui dit-il, est aussi mauvais que possible. Si je le laisse faire, il ruinera son pays. Si j’essaye de le brider, il m’en coûtera peut-être la vie. Il voit les torts d’autrui, mais pas les siens. Que faire d’un pareil disciple ? — Kiu-paiu dit : D’abord soyez circonspect, soyez correct, ne prêtez en rien à la critique. Ensuite vous chercherez à le gagner. Accommodez-vous à lui, sans condescendre à mal agir avec lui sans doute, mais aussi sans le prendre avec lui de trop haut. S’il a un caractère jeune, faites vous jeune avec lui. S’il n’aime pas la contrainte, ne l’ennuyez pas. S’il n’aime pas la domination, ne cherchez pas à lui en imposer. Surtout, ne le prenez pas à rebrousse poil, ne l’indisposez pas contre vous… Ne tentez pas de lutter avec lui de vive force. Ce serait là imiter la sotte mante, qui voulut arrêter un char et qui fut écrasée… Ne traitez avec lui, que quand il est bien disposé. Vous savez comme font les éleveurs de tigres, avec leurs dangereux élèves. Ils ne leur donnent jamais de proie vivante, car la satisfaction de la tuer exalterait leur brutale cruauté. Ils ne leur donnent même pas un gros morceau de viande, car l’acte de le déchirer surexciterait leurs instincts sanguinaires. Ils leur donnent leur nourriture par petites portions, et n’approchent d’eux que quand, repus et calmes, ils sont d’aussi bonne humeur qu’un tigre peut l’être. Ainsi ont-ils plus de chances de ne pas être dévorés… Cependant, ne rendez pas votre disciple intraitable, en le gâtant. Tels éleveurs de chevaux maniaques aiment leurs bêtes jusqu’à conserver leurs excréments. Qu’arrive-t-il alors ? Il arrive que, devenus capricieux jusqu’à la frénésie, ces chevaux s’emportent et cassent tout quand on les