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Chap. 6. Fatalité.

A. L’Énergie dit à la Fatalité : tu ne me vaux pas. — Pourquoi pas ? demanda la Fatalité. — Parce que, dit l’Énergie, la longévité, le succès, la noblesse, la richesse, c’est moi qui les procure aux hommes. — Ah ! fit la Fatalité, si cela était, y aurait-il vraiment lieu que tu t’en fasses gloire ? P’eng-tsou vécut huit siècles, bien plus longtemps que Yao et Chounn, sans avoir plus de mérite qu’eux. Yen-yuan, si sage, mourut à trente-deux ans, tandis que bien des sots atteignent un âge avancé. Tchoung-ni qui valut les princes de son temps, éprouva de grandes infortunes à Tch’enn et à Ts’ai. L’empereur Tcheou des Yinn[1] ne valut pas les trois parangons Wei-tzeu, Ki-tzeu, Pi-kan, et occupa pourtant un trône, tandis qu’eux furent malheureux. Ki-tcha de Ou, qui aurait mérité les plus grands honneurs, n’en obtint aucun ; tandis que T’ien-heng, absolument indigne, obtint le royaume de Ts’i. Pai-i et Chou-ts’i, si nobles, moururent de faim à Cheou-yang, tandis que Ki-cheu devint riche à Tchan-k’inn. Si c’est toi qui as fait ces répartitions-là, pourquoi les as-tu faites aussi à l’aveugle. — Si ce n’est pas moi, dit Énergie, c’est toi Fatalité qui les as faites, et ton blâme retombe sur toi. — Pardon, dit Fatalité ; moi je ne fais rien. Je pousse (je fais tourner la roue), puis laisse aller. Fatalement l’un vit longtemps et l’autre pas, fatalement l’un réussit et l’autre non, fatalement l’un devient illustre et l’autre pas, fatalement l’un est riche et l’autre pauvre. Moi je ne fais rien de tout cela ; je n’en sais même rien ; cela vient de soi.

B. Pei-koung-tzeu dit à Si-menn-tzeu : Je suis né dans le même temps et issu du même lignage que vous ; comme visage, langage, démarche, il n’y a guère de différence entre nous deux ; et cependant, vous réussissez, vous êtes honoré, vous êtes aimé, vous êtes goûté, vous êtes loué, tandis qu’il m’arrive tout le contraire. Nous avons employé les mêmes moyens pour tenter la fortune ; vous avez réussi en tout, et moi à rien. Je suis mal vêtu, mat nourri, mal logé, et marche à pied ; tandis que vous vivez dans le luxe et l’abondance, et ne sortez qu’en quadrige. Et dans la vie privée et dans la vie publique, vous primez tellement, que je n’ose plus me comparer avec vous. — Je conjecture, dit Si-menn-tzeu, que la différence de nos conditions, tient à la différence de nos conduites. Tu te seras moins bien conduit que moi. — Très humilié, Pei-koung-tzeu ne sut que répondre, et s’en alla tout déconfit. Dans la rue il rencontra le Maître du faubourg de l’est, qui lui demanda : où

  1. TH pages 85,90,91,99.