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durée, c’est une permanence (celle des génies). Après la vie, cesser d’être, serait le grand malheur. — Ayant eu une cause, être mort toujours, serait l’autre voie. Etant mort d’un mort, cesser d’être de bonne heure, serait l’autre permanence (celle du néant). Après la mort, revivre, c’est le grand bonheur. — Ne pas agir, et vivre, c’est une voie. Obtenir ainsi d’être longtemps, c’est une permanence. — Agir et mourir, c’est l’autre voie. Obtenir par elle de n’être plus, c’est l’autre permanence. — Ki-leang étant mort, Yang-tchou alla à son domicile et chanta (parce que Ki-leang avait vécu content jusqu’au bout de ses jours). Soei-ou étant mort, Yang-tchou caressa son cadavre en pleurant (comme pour le consoler, parce qu’après une dure vie, Soei-ou était mort prématurément). Il fit mal dans les deux cas, tout étant changé après la mort. Sur les vies et les morts, le vulgaire chante ou pleure, sans savoir pourquoi, à tort et à travers. — Pour durer longtemps, il faut ne rien faire, ne rien pousser à l’extrême. C’est un fait d’expérience, que, peu avant de s’éteindre, la vue devient pour un temps plus perçante, ce qui achève de l’user. Entendre le vol des moucherons, est signe qu’on va devenir sourd (même raison). Il en est de même, pour le goût et pour l’odorat. Un excès d’agitation précède et amène la paralysie. Une excessive pénétration, précède et introduit la folie. Tout apogée appelle la ruine.

J. Dans la principauté de Tcheng, à P’ou-tchai il y avait beaucoup d’hommes d’esprit (théoriciens), à Tong-li il y avait beaucoup d’hommes de talent (praticiens). Un certain Pai-fong-tzeu de P’ou-tchai (théoricien) passant par Tong-li avec ses disciples, rencontra Teng-si (praticien) avec les siens. Celui-ci dit à ses disciples : Si nous nous amusions de ceux-là ? ... Allez ! dirent les disciples. — S’adressant à Pai-fong-tzeu, Teng-si lui dit : A propos d’élevage. ... on élève les chiens et les porcs pour s’en servir. Pour quel usage élèves-tu tes disciples ? — Un des disciples qui accompagnaient Pai-fong-tzeu répliqua illico : Dans les pays de Ts’i et de Lou, les hommes de talent sortis de votre école abondent. Il y a des artistes en argile, en bois, en métal, en cuir ; des musiciens, des écrivains, des mathématiciens ; des tacticiens, des cérémoniaires, tant et plus. Il ne manque que les hommes d’esprit, pour diriger ces gens-là. C’est à cela qu’on nous destine. Faute de théoriciens, les praticiens ne servent à rien. — Teng-si ne trouva rien à répondre. Des yeux il fit signe à ses disciples de se taire, et se retira penaud.

K. Koung-i-pai était célèbre pour sa force. Un grand seigneur, T’anghi-koung, le vanta devant l’empereur Suan-wang des Tcheou. L’empereur le fit inviter à venir à sa cour. Koung-i-pai dut obéir. Or il avait un extérieur assez chétif. Etonné, l’empereur lui dit : On vante ta force ; qu’es-tu capable de faire ? — Koung-i-pai dit : Je puis casser la patte d’une sauterelle, et arracher l’aile d’une cigale. — L’empereur ne fut pas content. Moi, dit-il, j’appelle fort, un homme qui peut déchirer une peau de buffle, ou retenir neuf bœufs en les tirant par la queue. Si tu n’es capable que des exploits que tu viens de dire, pourquoi vante-t-on ta force ? — Voilà une question sage, dit Koung-i-pai, en soupirant et reculant modestement ; aussi vais-je vous répondre en toute franchise. Je fus disciple de Chang-K’iou-tzeu