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noncées  ; il atteignit à cet état, où la raison immobile n’est plus émue par rien.

G. Quand il était jeune disciple, Lie-tzeu aimait à se promener. Son maître Hou-K’iou-tzeu lui faisant rendre compte, lui demanda : Qu’aimes-tu dans la promenade ? ... Lie-tzeu dit : En général, c’est une détente reposante ; beaucoup y cherchent le plaisir de considérer ; moi j’y trouve le plaisir de méditer ; il y a promeneurs et promeneurs ; moi je diffère du commun. — Pas tant que tu crois, dit Hou-K’iou-tzeu ; car, comme les autres, tu t’amuses. Eux s’amusent visuellement, toi tu t’amuses mentalement. Grande est la différence, entre la méditation extérieure, et la contemplation intérieure. Le méditatif tire son plaisir des êtres, le contemplatif le tire de soi. Tirer de soi, c’est la promenade parfaite ; tirer des êtres, c’est la promenade imparfaite. — Après cette instruction, Lie-tzeu crut bien faire en renonçant absolument à se promener. Ce n’est pas ainsi que je l’entends, lui dit Hou-K’ioutzeu ; promène-toi, mais parfaitement. Le promeneur parfait marche sans savoir où il va, regarde sans se rendre compte de ce qu’il voit. Aller partout et regarder tout dans cette disposition mentale (abstraction totale, vue globale, rien en détail), voilà la promenade et la contemplation parfaites. Je ne t’ai pas interdit toute promenade ; je t’ai conseillé la promenade parfaite.

H. Loung-chou dit au médecin Wenn-tcheu : Vous êtes un diagnosticien habile. Je suis malade. Pourrez-vous me guérir ? — S’il plaît au destin, je le pourrai, dit Wenn-tcheu. Dites-moi ce dont vous souffrez. — Je souffre, dit Loung-chou, d’un mal étrange. La louange me laisse froid, le dédain ne m’affecte pas ; un gain ne me réjouit pas, une perte ne m’attriste pas ; je regarde avec la même indifférence, la mort et la vie, la richesse et la pauvreté. Je ne fais pas plus de cas des hommes que des porcs, et de moi que des autres. Je me sens aussi étranger dans ma maison que dans une hôtellerie, et dans mon district natal que dans un pays barbare. Aucune distinction ne m’allèche, aucun supplice ne m’effraye ; fortune ou infortune, avantage ou désavantage, joie ou tristesse, tout m’est égal. Cela étant, je ne puis me résoudre à servir mon prince, à frayer avec mes parents et amis, à vivre avec ma femme et mes enfants, à m’occuper de mes serviteurs. Qu’est-ce que cette maladie-là ? Par quel remède peut-elle être guérie ? — Wenn-tcheu dit à Loung-chou de découvrir son buste. Puis, l’ayant placé de manière que le soleil donnât en plein sur son dos nu, il se plaça devant sa poitrine, pour examiner ses viscères, par transparence. Ah ! dit-il soudain, j’y suis ! Je vois votre cœur, comme un petit objet vide, d’un pouce carré. Six orifices sont déjà parfaitement ouverts, le septième va se déboucher. Vous souffrez de la sagesse des Sages. Que peuvent mes pauvres remèdes contre un mal pareil ?[1] ?

I. N’ayant pas eu de cause, vivre toujours, c’est une voie, (celle du Principe seul)[2]. Etant né d’un vivant, ne pas cesser d’être après une longue

  1. Loung-chou est un indifférent taoïste presque parfait. Il ne lui reste plus qu’à se défaire de l’illusion de prendre sa sagesse pour une maladie et de vouloir en guérir.
  2. Certains membres de ce paragraphe insérés uniquement pour cause de parallélisme, sont ineptes. Le sens général est qu’il y a deux états, celui de vie et celui de mort ; que l’inaction fait durer la vie, que l’action est un suicide. Nous savons cela.