Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’arrêtant dans la cour, il réfléchit longuement, le menton appuyé sur le bout de son bâton, puis partit sans mot dire. Cependant le portier avait averti Lie-tzeu. Celui-ci saisit vivement ses sandales, et sans prendre le temps de les chausser, courut après son ami. Quand il l’eut rejoint à la porte extérieure, il lui dit : Pourquoi partez-vous ainsi, sans me laisser aucun avis utile ? — A quoi bon désormais ? dit Pai-hounn-ou-jenn. Ne vous l’ai-je pas dit ? Vous avez des maîtres maintenant. Sans doute, vous ne les avez pas attirés, mais vous n’avez pas non plus su les repousser. Quelle influence aurez-vous désormais sur ces gens-là ? On n’influence qu’à condition de tenir à distance. A ceux par qui l’on est gagné, on ne peut plus rien dire. Ceux avec qui l’on est lié, on ne peut pas les reprendre. Les propos de gens vulgaires, sont poison pour l’homme parfait. A quoi bon converser avec des êtres qui n’entendent ni ne comprennent ?

N. Yang-tchou allant à P’ei et Lao-tzeu allant à Ts’inn, les deux se rencontrèrent à Leang. A la vue de Yang-tchou, Lao-tzeu leva les yeux au ciel, et dit avec un soupir : J’espérais pouvoir vous instruire, mais je constate qu’il n’y a pas moyen. — Yang-tchou ne répondit rien. Quand les deux voyageurs furent arrivés à l’hôtellerie où ils devaient passer la nuit, Yang-tchou apporta d’abord lui-même tous les objets nécessaires pour la toilette. Ensuite, quand Lao-tzeu fut installé dans sa chambre, ayant quitté ses chaussures à la porte, Yang-tchou entra en marchant sur ses genoux, et dit à Lao-tzeu : Je n’ai pas compris ce que vous avez dit de moi, en levant les yeux au ciel et soupirant. Ne voulant pas retarder votre marche, je ne vous ai pas demandé d’explication alors. Mais maintenant que vous êtes libre, veuillez m’expliquer le sens de vos paroles. — Vous avez, dit Lao-tzeu, un air altier qui rebute ; tandis que le Sage est comme confus quelque irréprochable qu’il soit, et se juge insuffisant quelle que soit sa perfection. — Je profiterai de votre leçon, dit Yang-tchou, très morfondu. — Cette nuit-là même Yang-tchou s’humilia tellement, que le personnel de l’auberge qui l’avait servi avec respect le soir à son arrivée, n’eut plus aucune sorte d’égards pour lui le matin à son départ. (Le respect des valets étant, en Chine, en proportion de la morgue du voyageur.)

O. Yang-tchou passant par la principauté de Song, reçut l’hospitalité dans une hôtellerie. L’hôtelier avait deux femmes, l’une belle, l’autre laide. La laide était aimée, la belle était détestée. ... Pourquoi cela ? demanda Yang-tchou à un petit domestique. ... Parce que, dit l’enfant, la belle fait la belle, ce qui nous la rend déplaisante ; tandis que la laide se sait laide, ce qui nous fait oublier sa laideur. — Retenez ceci, disciples ! dit Yang-tchou. Etant sage, ne pas poser pour sage ; voilà le secret pour se faire aimer partout.

P. Il y a, en ce monde, comme deux voies ; celle de la subordination, la déférence ; celle de l’insubordination, l’arrogance. Leurs tenants ont été définis par les anciens en cette manière : les arrogants n’ont de sympathie que pour les plus petits que soi, les déférents affectionnent aussi ceux qui leur sont supérieurs. L’arrogance est dangereuse, car elle s’attire des ennemis ; la