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tu verras la suite de l’expérience. — Le lendemain Lie-tzeu ramena le devin. Quand celui-ci fut sorti, il dit à Lie-tzeu : Il est heureux que votre maître se soit adressé à moi ; il y a déjà du mieux ; les cendres se raniment ; j’ai vu des signes d’énergie vitale. ... Lie-tzeu rapporta ces paroles à Hou-K’iou-tzeu, qui dit : C’est que je me suis manifesté à lui sous l’aspect d’une terre fécondée par le ciel, l’énergie montant de la profondeur sous l’influx d’en haut. Il a bien vu, mais mal interprété, (prenant pour naturel ce qui est contemplation). Amène-le encore, pour que nous continuions l’expérience. — Le lendemain Lie-tzeu ramena le devin. Après avoir fait son examen, celui-ci lui dit : Aujourd’hui j’ai trouvé à votre maître un aspect vague et indéterminé, duquel je ne puis tirer aucun pronostic ; quand son état se sera mieux défini, je pourrai vous dire ce qui en est. ... Lie-tzeu rapporta ces paroles à Hou-K’ioutzeu, qui dit : C’est que je me suis manifesté à lui sous la figure du grand chaos non encore différencié, toutes mes puissances étant en état d’équilibre neutre. Il ne pouvait de fait tirer rien de net de cette figure. Un remous dans l’eau peut être causé aussi bien par les ébats d’un monstre marin, par un écueil, par la force du courant, par un jaillissement, par une cascade, par la jonction de deux cours d’eau, par un barrage, par une dérivation, par la rupture d’une digue ; effet identique de neuf causes distinctes, (donc impossibilité de conclure directement du remous à la nature de sa cause ; il faut qu’un examen ultérieur détermine celle-ci). Amène-le une fois encore, et tu verras la suite. — Le lendemain, le devin étant revenu, ne s’arrêta qu’un instant devant Hou-K’iou-tzeu, n’y comprit rien, perdit contenance et s’enfuit. ... Cours après lui, dit Hou-K’iou-tzeu. ... Lie-tzeu obéit, mais ne put le rattraper. ... Il ne reviendra pas, dit Hou-K’iou-tzeu. C’est que je lui ai manifesté ma sortie du principe primordial avant les temps, une motion dans le vide sans forme apparente, un bouillon de la puissance inerte. C’était trop fort pour lui, voilà pourquoi il a pris la fuite. — — Constatant que de fait il n’entendait encore rien à la doctrine ésotérique de son maître, Lie-tzeu se confina dans sa maison durant trois années consécutives. Il fit la cuisine pour sa femme, il servit les porcs comme s’ils eussent été des hommes, (pour détruire en soi les préjugés humains). Il se désintéressa de toutes choses. Il ramena tout ce qui en lui était culture artificielle, à la simplicité naturelle primitive. Il devint fruste comme une motte de terre, étranger à tous les événements et accidents, et demeura ainsi concentré en un jusqu’à la fin de ses jours.

M. Comme maître Lie-tzeu allait à Ts’i, il revint soudain sur ses pas. Pai-hounn-ou-jenn qu’il rencontra, lui demanda : Pourquoi rebroussez-vous chemin de la sorte ? — Parce que j’ai peur, dit Lie-tzeu. — Peur de quoi ? fit Pai-hounn-ou-jenn. — Je suis entré dans dix restaurants, dit Lie-tzeu, et cinq fois j’ai été servi le premier. Il faut que ma perfection intérieure transparaissant, ait donné dans l’œil à ces gens-là, pour qu’ils aient servi après moi des clients plus riches ou plus âgés que moi. J’ai donc eu peur que, si j’allais jusqu’à la capitale de Ts’i, ayant connu lui aussi mon mérite, le prince ne se déchargeât sur moi du gouvernement qui lui pèse. — C’est bien pensé, dit Pai-hounn-ou-jenn. Vous avez échappé à un patron princier ; mais je crains que vous n’ayez bientôt des maîtres à domicile. — Quelque temps après, Pai-hounn-ou-jenn étant allé visiter Lie-tzeu, vit devant sa porte une quantité de souliers (indice de la présence de nombreux visiteurs).