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M. Jadis Tcheou-hioung disait : Les transports des êtres défunts, sous l’action du ciel et de la terre, sont imperceptibles. L’être qui périt ici, renaît ailleurs ; celui qui s’ajoute ici, se retranche ailleurs. Décadence et prospérité, devenir et cesser, les allées et les venues s’enchaînent, sans que le fil de cet enchaînement soit saisissable. Si insensibles sont la venue de ceux qui viennent et le départ de ceux qui partent, que l’univers présente toujours le même aspect. Tout comme les changements d’un organisme humain, visage, peau, cheveux, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, sont quotidiens, mais ne peuvent pas se constater d’un jour à l’autre.

N. Dans le pays de Ki, un homme était tourmenté par la crainte que le ciel ne lui tombât sur la tête et que la terre ne s’effondrât sous ses pieds. La crainte de ce grand cataclysme l’obsédait au point qu’il en perdit le sommeil et l’appétit. — Un ami s’émut de son état, et entreprit de le remonter. Le ciel, lui dit-il, n’est pas solide. Il n’y a, là-haut, que des vapeurs qui vont et viennent, s’étendant et se contractant, formant la respiration cosmique. Cela ne peut pas tomber. — Soit, dit le trembleur ; mais le soleil, la lune, les étoiles ? — Ces corps célestes, dit l’ami, ne sont aussi faits que de gaz lumineux. S’ils venaient à tomber, ils n’ont pas assez de masse pour faire même une blessure. — Et si la terre s’effondrait ? demanda le trembleur. — La terre est un trop gros morceau, dit l’ami, pour que les pas des hommes l’usent ; et trop bien suspendu dans l’espace, pour que leurs secousses l’ébranlent. Rassuré, le trembleur se mit à rire ; et l’ami, content d’avoir réussi à le rassurer, rit aussi. — Cependant Tch’ang-lou-tzeu ayant entendu raconter cette histoire, critiqua et le toqué et son ami, en ces termes : Que le ciel et les corps célestes soient faits de vapeurs légères, que la terre qui porte tout soit faite de matière solide, soit, c’est vrai. Mais ces vapeurs et cette matière sont des composés. Qui peut garantir que ces composés ne se décomposeront jamais ? Étant donné cette incertitude, spéculer sur l’éventualité possible de la ruine du ciel et de la terre, est raisonnable. Mais vivre dans l’attente continuelle de cette ruine, est déraisonnable. Laissons le soin de gémir sur le grand effondrement, à ceux qui en seront les contemporains. — Lie-tzeu, ayant entendu cette solution, dit : Affirmer que le ciel et la terre seront ruinés, ce serait trop s’avancer ; affirmer qu’ils ne seront pas ruinés, ce serait aussi trop s’avancer. Il est impossible de savoir avec certitude, ce qui en sera, si oui si non. Je conclus cela d’une analogie. Les vivants ne savent rien de leur futur état de mort, Les morts ne savent rien de leur futur état de nouvelle vie. Ceux qui viennent (les vivants) ne savent pas comment se fera leur départ (mort), et ceux qui sont partis (les morts) ne savent pas comment ils reviendront (en vie). Incapables de se rendre compte des phases de leur propre évolution, comment les hommes pourraient-ils se rendre compte des crises du ciel et de la terre ?