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Introduction.

lune. Les Taoïstes recueillirent, sur un plateau de métal, et burent ce jus de l’astre des nuits, moyen facile d’assimiler la quintessence du yinn. Cette boisson fait partie de tout traitement taoïste. D’autres substances sont aussi de la quintessence de yinn concrète, à savoir l’argent, le jade, les perles, le corail, l’ambre jaune. Aussi les Taoïstes eurent-ils un culte pour ces substances. Mais, comme elles ne sont pas à la portée de toutes les bourses, elles ne furent jamais mangées, après pulvérisation, que par des privilégiés. — La lumière solaire est une forme de la quintessence du yang. Restait à trouver une forme comestible de cette quintessence. De ses deux concrétions courantes, le soufre et l’or, le soufre est considéré par les Chinois comme un violent poison[1], l’or sous forme métallique n’est pas assimilable. L’alchimie taoïste naquit du désir de trouver du soufre et de l’or comestibles. Or le cinabre (sulfure de mercure) abonde en Chine. Sa décomposition par la chaleur, apprit qu’il est composé de soufre et de mercure. Le mercure est yinn, mais le composé est yang, témoin sa couleur rouge. De plus il n’est pas vénéneux. Faute de soufre natif auquel on se fiât, on mangea donc du cinabre, comme drogue de longue vie. Celui qui avait été décomposé et recomposé plusieurs fois, passait pour le plus yang de tous les cinabres, pour le 神丹 cinabre transcendant, la vertu du feu ayant encore exalté ses propriétés. De là la série mystique des 九轉 neuf tours, des 九九 neuf fois neuf jours de chauffage, etc… Des manipulations faites avec du plomb argentifère et arsénifère ayant donné du sulfure d’arsenic jaune, on crut avoir trouvé l’or comestible. Mais ceux qui le mangèrent en étant mort, peu risquèrent ensuite cette cure, tandis que les mangeurs de cinabre furent pendant de longs siècles très nombreux… Délibérément l’alchimie taoïste n’alla pas plus loin. Quelques alchimistes s’étant laissé entraîner par la curiosité à des recherches chimiques minérales, végétales, animales même, s’attirèrent les reproches de leurs confrères et les sévices des gouvernants. — Inutile d’insister sur d’autres drogues chères aux candidats à l’immortalité ; pachyma cocos, une truffe géante, qui pousse sur les racines des cyprès, et est censée en extraire la quintessence ; un agaric épiphyte ramifié, cryptogame né spontanément (ses spores étant inconnues des savants taoïstes), censé par conséquent être une concrétion cosmique. Etc.


Enfin les révolutions de la nature étant pour les Taoïstes le fondement de tout, ils s’approprièrent et développèrent quasi-scientifiquement les anciens systèmes chinois inventés pour deviner ces révolutions, pour prévoir l’avenir. Les dessins de 黄帝 Hoang-ti et de U, base des nombres ; les diagrammes de 伏羲 Fou-hi, et le livre des Mutations qui les développe ; les spéculations de 鄒衍 Tseou-yen sur la rotation des cinq éléments ; ils accaparèrent tout. Ces procédés peuvent être pratiqués sur le vulgaire, aucune vertu spéciale n’étant exigée de l’opérateur. — À l’homme supérieur, au surhomme

  1. Peu ou pas de soufre natif dans l’ancienne Chine, mais beaucoup d’orpiment vénéneux. Le mélange ou la confusion des deux substances, aura donné lieu à cette croyance erronée.