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Introduction.

taoïste, qui est l’hygiène de l’âme ; suppression des passions, parce qu’elles usent ; continence et abstinence, parce que la luxure et la gourmandise épuisent[1] ; surtout pas d’ambition, pas d’efforts pour parvenir, parce que rien ne corrode davantage. — Cela posé, dans la foi de son identité avec le Principe ; avec la conscience qu’il n’a, ni fatigué son âme, ni usé son corps, et qu’il n’a par conséquent rien à se reprocher ; le Taoïste attend la fin de ses années et meurt dans une paix non pareille, sans changer de visage, comme disent les textes. Pour lui, pas d’affres dans la mort, pas de terreurs dans l’au-delà. Mourir, c’est changer son revêtement usé, contre un nouveau qui sera meilleur.

3. Le Principe déterminant la voie de tous les êtres, c’est un devoir de n’intervenir en rien ; de ne pas mettre son doigt dans le rouage, dans l’engrenage ; de ne s’occuper que de soi ; de ne s’imposer à rien ni à personne ; de laisser aller l’univers, ce volant que le Principe fait tourner[2]. Le Taoïste considère sa rotation d’un œil placide. Pour lui, rien ne peut marcher mal. Le point de la circonférence qui est en bas maintenant, sera en haut tout à l’heure. Des alternances nécessaires, voulues par le Principe, régies par les nombres et les phases yinn-yang, doivent se succéder. Il faut leur laisser libre cours, cette instabilité étant la loi. Tant pis pour les inventeurs de systèmes, les moralistes, les politiciens, les idéalistes et utopistes de toute espèce ! Patrie, gouvernement, bien général ou supérieur, progrès, idéal, plans, projets, formules, le Taoïste rit de tout cela. Que les choses aillent donc comme elles peuvent aller ! C’est le nombre, c’est la période, c’est le Principe qui les fait aller dans ce sens. Bien fou serait celui qui se raidirait pour les faire aller en sens inverse, car son échec est prédéterminé. — La pire des ingérences dans la marche normale de l’univers, c’est la guerre ; car c’est mettre un terme à des vies, avant le temps, contre la volonté du Principe.


Les Pères du Taoïsme ne furent jamais agressifs, oh non, car la controverse passionnée aurait usé leur âme et leur corps. Ils eurent, pour leurs vulgaires contemporains, un dédain compatissant souvent comique. Seul Confucius fut traité par eux avec ironie et mépris. C’est qu’ils virent en lui, l’homme du rit artificiel et de la vertu conventionnelle, le destructeur de la Nature, l’antagoniste du Principe. Lao-tzeu réfuta les principes du Maître, sans le nommer. Lie-tzeu l’entreprit plus à fond. Mais Tchoang-tzeu fit du pauvre Sage, mort depuis 150 ans, son plastron préféré. Les pages dans lesquelles il le tourne et le retourne, le roule, le convertit, lui fait abjurer ses erreurs passées et enseigner le Taoïsme, comptent parmi ce que la littérature chinoise a produit de plus spirituel[3]. Elles sont de plus très importantes, parce qu’elles démontrent quelles étaient, un siècle après Confucius, les positions de

  1. Chose qui paraît à première vue singulière, beaucoup de Taoïstes célèbres, très sobres comme mangeurs, furent d’extraordinaires buveurs. C’est que, d’après eux, l’alcool stimule l’énergie vitale, l’ivresse est sans inconvénient. Boire est donc conforme à leur théorie, qu’ils mettent en pratique quand ils peuvent.
  2. Le formule de cette non-immixtion dans les décrets du Principe, c’est 無爲 ou-wei, qu’on traduit mal par non-agir. Le sens est, ne rien faire contre la prédétermination. Beaucoup de termes taoïstes doivent être ainsi traduits dans le sens taoïste, sous peine de contresens. Ainsi ou, n’est pas le néant d’être, mais le néant de forme, l’absence de forme définie Etc.
  3. Voir Taoïsme, Tome II, les Pères du système.