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l’esprit chinois fut considérable ; dans la littérature chinoise, on en retrouve les vestiges partout. Comme puissance et comme envolée, aucun auteur chinois ne les a dépassés. — Leur système est un panthéisme réaliste, pas idéaliste. Au commencement était un être unique, non pas intelligent mais loi fatale, non spirituel mais matériel, imperceptible à force de ténuité, d’abord immobile, qu’ils appellent Tao le Principe, parce que tout dériva de lui. Vint un moment où, on ne dit pas pourquoi, ce Principe se mit à émettre Tei sa Vertu, laquelle agissant en deux modes alternatifs yinn et yang, produisit, comme par une condensation, le ciel la terre et l’air entre deux, agents inintelligents de la production de tous les êtres sensibles, le Principe étant en tout, et tout étant en lui. Les êtres sensibles vont et viennent, au fil d’une évolution circulaire, naissance, croissance, décroissance, mort, renaissance, et ainsi de suite. Le Souverain d’en haut des Annales et des Odes, n’est pas nié expressément, mais on s’en passe ; il n’a ni place ni rôle dans le système. L’homme n’a pas une origine autre que la foule des êtres. Il est plus réussi que les autres, voilà tout. Et cela, pour cette existence seulement. Après sa mort, il passera dans une nouvelle existence quelconque, pas nécessairement humaine ; peut-être animale, ou végétale, ou même minérale. Transformisme, dans le sens le plus large du mot. — Le Sage fait durer sa vie, par la tempérance, la paix mentale, la suppression de toute passion, l’abstention de tout ce qui fatigue ou use. C’est pour cela qu’il se tient dans la retraite et l’obscurité ; dans un effacement, qui n’est motivé, ni par un sentiment d’humilité, ni par une dévotion pour des méditations plus hautes ; qui est amour de soi, paresse et dédain. S’il est tiré de force de sa retraite et mis en charge, le Sage taoïste gouverne et administre d’après les mêmes principes, sans se fatiguer l’esprit, sans user son cœur, agissant le moins possible, si possible n’intervenant pas du tout, afin de ne pas gêner la rotation cosmique et l’évolution universelle. Apathie par l’abstraction, farniente systématique. Tout regarder, de si haut, de si loin, que tout apparaisse comme fondu en un, qu’il n’y ait plus ni individus ni détails, partant plus ni sympathie ni antipathie. Vue globale du tout, intérêt global pour le tout, ou plutôt indifférence pour tout. Surtout pas de système, de règle, d’art, de rits, de morale ; car tout cela est artificiel et fausse la nature. Suivre soi-même, et laisser suivre aux autres, les instincts naturels. Il n’y a, ni bien ni mal, ni sanction aucune. Laisser aller le monde au jour le jour. Évoluer avec le grand tout. Traiter avec une pitié bienveillante, amusée et narquoise, le vulgaire qui ne voit pas si loin, le populaire qui prend au sérieux les choses de ce monde, tous ceux enfin qui croient naïvement «que c’est arrivé».

Dans cette dix-septième Leçon, je vais citer les textes principaux de Lao-tzeu. Je citerai ceux des Pères taoïstes, dans les Leçons suivantes.


B. Textes sur le Principe. Ciel-terre. Émanation des êtres sensibles. — Avant le temps, et de tout temps, fut un être existant de lui-même, éternel, infini, complet, omniprésent. Impossible de le nommer, de le définir, parce que les termes humains ne s’appliquent qu’aux êtres sensibles. Or l’être primordial fut et est essentiellement imperceptible aux sens. En dehors de lui, avant l’origine, il n’y eut rien. Appelons-le M Ou le néant de forme, ou huan Huan le mystère, ou Tao le Principe.