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se préparait également à s'embarquer pour la France, lança son dernier ordre du jour, indiquant que la tâche assignée au corps expéditionnaire du Dahomey était accomplie. Il exprimait aux officiers et aux troupes ses chaleureux remerciements pour l'énergie, la patience et le dévouement avec lesquels tous avaient supporté les fatigues et les privations, et l'avaient aidé sans relâche dans sa tâche délicate et difficile. Il remettait le commandement au colonel Dumas.

Lors de notre embarquement, le général vint de Ouidah pour nous dire au revoir. Il fit porter nos sacs par des coolies jusqu'au quai. Puis, il monta à bord, visita nos couchettes, et pria le commandant d'avoir bien soin de nous pendant la traversée ; quand il quitta le navire, tous les hommes poussèrent un : Vive le général ! qui partait du fond du cœur. Il répondit : « Je vous souhaite à tous une très bonne santé, soignez-vous bien pendant votre convalescence, et surtout pas d'excès. » À ce moment, je ne pouvais m'empêcher d'admirer ce chef si bon qui s'intéressait tant, et jusqu'au dernier moment, à ses hommes, et je pensais à ce philanthrope qui a dit : « Les grands cœurs ne sont jamais heureux, il leur manque le bonheur des autres. »

Notre traversée fut assez pénible. Nous étions très bien traités à bord du navire (Stamboul), mais la mer était presque continuellement mauvaise, et, à partir de Dakar, il ne se passait pas un jour sans qu'on jetât quelqu'un à la mer (les décès provenaient surtout de la fièvre bilieuse hématurique). Enfin nous arrivâmes à Oran, où le général en chef et toute la garnison nous attendaient au quai de débarquement. La musique jouait, les mouchoirs et les chapeaux s'agitaient. C'était un moment de gaieté mêlée de tristesse, car deux camarades malades qu'on débarquait rendaient le dernier soupir sur le quai même. D'autres étaient transportés à l'hôpital d'Oran et ne valaient guère mieux. Désigné pour aider à débarquer ces malheureux, je me mis subitement à pleurer, malgré l'effort que je faisais