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Enfin le wharf de Cotonou fut ouvert au commerce. Sans ce wharf, construit par les ingénieurs Daydé et Pillet de Paris, le débarquement des troupes au Dahomey eût offert des difficultés insurmontables.

Me voilà pour l’instant à Porto-Novo, où j’occupe mes journées à contempler la couleur du sol, formé d’une argile rouge et compacte. C’est la terre qui, dans ce pays où le calcaire n’existe pas, sert aux indigènes à construire les maisons et les murs de clôture. Je fis la connaissance d’un Dahoméen catholique parlant assez bien le français, et élevé par les missionnaires français de Porto-Novo. Mon homme est interprète à l’église et s’appelle Antoine. C’est un beau parleur, mais je ne m’y trompe pas. Il aime les Français avec les lèvres et non avec le cœur, qui est resté dahoméen. Je m’en suis rendu compte à plusieurs reprises ; mais j’ai dû feindre la confiance, car Antoine était à même de me renseigner sur beaucoup de choses concernant la colonie, et il en savait long. Au demeurant, ma manœuvre réussit et je n’ai pas été, je le crois, le plus roulé des deux.

Antoine avait ses entrées libres dans certains endroits de Porto-Novo, fermés aux soldats. C’est ainsi qu’il m’a conduit souvent au palais royal de Toffa, où se trouvent les prisons dans lesquelles le roi enfermait ceux de ces sujets qu’il regardait comme dangereux. Les gardiens qui, comme salaire, reçoivent du Grand Roi (c’est ainsi qu’ils l’appellent) la nourriture et un pagne pour couvrir leur nudité, nous montrèrent, sur un simple mot d’Antoine, des choses et des êtres tout à fait étranges. Profitant de l’absence de Toffa qui était allé chez ses femmes (le gaillard en avait cinq cents, paraît-il), un de ces gardiens nous fit visiter en détail tous les appartements. Le palais du roi avait un aspect extérieur plutôt lamentable. Mais il n’en était pas de même de l’intérieur. Mille bizarres sculptures, enjolivées de peintures chatoyantes, amusaient l’œil du spectateur. Dans une pièce, des caisses de