Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d'une victoire, en avaient fait autant, on aurait poussé de beaux cris ! Pendant ce temps, quelques officiers russes attablés dans un des grands hôtels de Saïgon vidaient des douzaines de bouteilles de champagne. Quand ils en eurent plus que leur compte, ils se mirent, sans crier gare, à casser la vaisselle, les meubles et tout ce qui leur tombait sous la main. Singulière reconnaissance envers les Saïgonnais pour la réception de leur général !

Il existe un bâtiment à Saïgon, dont les murs, s'ils pouvaient parler, raconteraient des histoires à faire frémir. Je veux parler de l'hôpital militaire. On ne peut se faire une idée de ce que son amphithéâtre a vu défiler de soldats morts dans l'établissement ! Il faut pour cela visiter le cimetière. On y est frappé d'horreur à l'aspect de ces innombrables tombes, étroitement serrées les unes contre les autres. Quand on pense que la Cochinchine ne nous appartient que depuis 1859, que la garnison de Saïgon ne compte que deux mille militaires au maximum, et que ce cimetière est plus vaste et plus peuplé que celui d'une grande ville européenne, on se fera peut-être une idée approximative de la mortalité des militaires dans notre colonie cochinchinoise.

Un infirmier indigène depuis quinze ans employé à l'hôpital me disait que dans la bonne saison (d'octobre à mars ou avril) on comptait une moyenne de deux à cinq morts par jour, et dans la mauvaise saison (de mai à septembre) de quatre à douze. Il est donc facile de dresser une statistique depuis 1859, avec une moyenne de six par jour, et de calculer l'effroyable tribut de vies de soldats payé au climat de la Cochinchine. Il serait injuste d'imputer cette énorme mortalité à l'autorité civile ou militaire. J'ai déjà dit que dans aucune autre colonie je n'ai vu prendre autant de précautions, au point de vue de l'hygiène, qu'à Saïgon. Les soldats y sont traités comme des objets délicats, aux organismes fragiles. On ne les