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sont coupables d'un écart de conduite ; le passé de certains autres est enveloppé de mystère ; mais tous ici, à peu d'exceptions près, sont dévoués à leurs chefs. Du reste, tu ne tarderas pas à t'en rendre compte. Naturellement, continua-t-il, il ne faut pas leur parler patriotisme, ils ne comprendraient pas. Mais je t'assure que le Drapeau de la Légion, qui est celui de la France, est en bonnes mains, et celui qui essaierait de le souiller serait mis en morceaux. Tu trouveras ici des chefs sévères, mais d'une sévérité pleine de bienveillance qui force le respect des hommes ; et de là vient le grand dévouement de ceux-ci pour leurs officiers. Le livre d'or qui est déposé à la salle d'honneur en dit long sur les innombrables actes de courage et de dévouement des légionnaires aux colonies. Pour moi, continua Crista, qui ai fait la campagne du Tonkin sous les ordres du général de Négrier, j'ai vu les camarades à l'œuvre, je les ai vus défendre leurs chefs au moment du danger, au risque de se faire hacher en morceaux. Pour ces hommes, que des gens de parti pris appellent si dédaigneusement mercenaires et déclassés, c'était cependant admirable. D'ailleurs, le général de Négrier n'a jamais cessé de faire l'éloge des légionnaires ; il les a souvent appelés « ses chers enfants », et maintenant encore quand un légionnaire passe à Besançon où le général de Négrier est en garnison et y rencontre son ancien chef, celui-ci lui serre la main et lui donne une pièce de cinq ou de dix francs, ce qui prouve l'excellent souvenir qu'il a gardé de ces... mercenaires. Quant à moi, dit-il, je suis fier de servir dans ce régiment de braves.

Je lui demandai ensuite quelques renseignements sur les hommes de notre chambrée. — Vois-tu celui qui est assis à côté du caporal, me dit Crista, et celui qui est à gauche de ton lit ? Ces deux hommes sont brouillés à mort. Ils sont de la même force aux armes ; deux fois, déjà, ils ont vidé leur querelle sur le terrain, le fleuret à la main ; mais ils restent toujours comme