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marché et combattu, de notre vaillant commandant Fonssagrives, du non moins brave capitaine Vautravers, du capitaine Aubé que j'avais connu comme lieutenant au Dahomey et comme capitaine à Madagascar, m'ont fait un profond plaisir. J'en étais très fier, comme si j'en avais partagé l'honneur. Tant il est vrai que lorsqu'on garde un bon souvenir de quelqu'un, on se sent tout heureux lorsqu'on apprend qu'un bonheur mérité lui arrive.

Le 7 janvier, on nous fit occuper les montagnes jusqu'à Si-Ling. Une bande de treize cents cavaliers armés de fusils Mauser nous était signalée. Elle voulait forcer notre ligne, mais prévenue de nos mouvements elle rebroussa chemin. Pour cette marche dans les montagnes, notre commandant avait ordonné de se noircir les sourcils et les paupières avec du charbon afin d'éviter les ophtalmies. Le froid devenait insupportable. Nous avions construit quelques fourneaux de campagne, mais il nous manquait le principal... le bois. Nos logements étaient pleins de fumée et noirs comme des fours. Tous les jours nous collions du papier aux fenêtres en guise de carreaux, mais le vent l'enlevait continuellement. Nous étions presque en plein air ; les portes étaient démolies, tout gelait dans nos pitoyables chambres, l'eau, l'encre, le pain et même... les œufs frais. Le matin, nous ne pouvions mettre nos chaussures, qui étaient aussi dures que du bois. En un mot, ce fut un hiver comme je ne me rappelle pas en avoir vu dans mon existence ; les cas de congélation se multipliaient et il ne se passait pas de jour sans qu'on entendît cette plaisanterie facile : aujourd'hui j'ai les pieds... nickelés !

Le 13 janvier, on nous communiqua la dépèche suivante envoyée par le président de la République au corps expéditionnaire : « Je suis très sensible aux souhaits du corps expéditionnaire et je désire ardemment qu'il ne soit pas trop éprouvé par les rigueurs de l'hiver. » Ces souhaits ne furent pas exaucés.