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C'est la tâche qu'il s'est donnée et qu'il a menée à bien partout, au Soudan, au Tonkin et à Madagascar.

Je dirai aussi qu'au Tonkin tout s'est passé à peu près comme dans nos autres colonies. Seuls, les militaires ouvrent les premières routes et construisent les premiers chemins de fer dans les contrées les plus malsaines et les plus dangereuses, en payant presque toujours de leur santé et assez souvent de leur vie ; les civils ne viennent que lorsqu'il n'y a plus rien à craindre, accompagnés de domestiques, de boys, de mobiliers et d'une cargaison de vivres de premier choix. Et, à partir de ce moment, il n'est jamais plus question des militaires lorsqu'on parle des routes ou voies ferrées. Au besoin, on les inaugure, on fait des discours sans souffler mot de ceux qui les ont tracées et construites et on s'en attribue tout le mérite.

Si je me laisse aller à cette critique, c'est que pendant ma carrière j'ai vu et entendu trop souvent les fonctionnaires civils des colonies traiter les militaires avec une injustice et un parti pris vraiment révoltants. Naturellement, on leur répond par un silence plein de dédain, car les colonies, nous les connaissons sûrement mieux qu'eux. Malgré leurs longs séjours, ils ne sont en relation avec les indigènes que par des intermédiaires ; tandis que nous, soldats, nous avons pour ainsi dire vu naître ces colonies, nous avons été les premiers en contact avec les habitants, sans nous laisser rebuter par leurs défauts et nous en avons tiré le plus grand bénéfice pour la France. Et cela, sans molester personne. Toutes les circulaires des chefs concernant les indigènes peuvent le prouver ; enfin quelques punitions très sévères infligées aux soldats qui se sont permis d'enfreindre ces ordres en témoignent aussi. C'est ainsi que dans les sept de nos colonies où j'ai eu le bonheur de servir, les indigènes préfèrent de beaucoup les militaires aux civils ; c'est ce qui arrive en particulier pour les Arabes en Algérie. Nous traitons les noirs ou les jaunes en ennemis sur le champ de bataille,