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comme je lui disais que je ne m’appelais pas Martin, il me répondit, tout en me tapant sur l’épaule, que cela n’avait pas d’importance. — Le principal, disait-il, c’est que nous nous connaissions. — Oui, lui dis-je ; au Dahomey, vous m’avez plusieurs fois vendu des conserves pourries ; mais que faites-vous ici ? — Ici, c’est différent, répond-il. À propos, si nous allions boire une bouteille de Champagne ? — Là-dessus, il me mena chez un Grec où je bus, non pas du Champagne, mais une abominable mixture qui moussait légèrement. Et le mulâtre civilisé entra aussitôt une conversation, dans laquelle il vantait le courage et la résistance des soldats français. Seulement, sa voix sonnait faux ; on y sentait l’arrière-pensée sous le masque de la flatterie. Il sauta ensuite à un autre sujet, disant que si cela me plaisait, il me conduirait dans un endroit où le beau sexe ne me laisserait pas le temps de m’ennuyer. Enfin, s’approchant plus près de moi, il me demanda à voix basse si je ne pouvais lui indiquer des maisons inhabitées, et au besoin l’y accompagner. — Bah ! concluait-il, c’est la guerre, et ce sont ces sauvages qui l’ont désirée.

Du coup, je regardai fixement mon homme et je lui dis : — Venez avec moi, nous en reparlerons. — J’avais mon plan. Nous sortîmes de cette misérable boutique et je me dirigeai du côté de la ville où se trouvait le poste de gendarmerie. — Où allons-nous ? me demanda-t-il. Je vais chercher un camarade qui nous aidera, lui répondis-je. Et, en arrivant devant une petite maison où plusieurs gendarmes causaient devant la porte, j’empoignai le bonhomme par le cou et l’entraînai vigoureusement dans une pièce où ces gendarmes, survivants de la campagne, avaient établi leur caserne provisoire.

Ceux-ci, sans savoir de quoi il s’agissait, s’emparèrent du mulâtre, qui de noir était devenu verdâtre et qui protestait en criant très fort qu’il était un honorable commerçant. En peu de mots, j’expliquai