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descendre l’indulgence ou la pitié au rang du sacrilége. Eh bien, j’ose affirmer que l’envie, sous les traits de Clarisse, est plus que digne d’indulgence : elle émeut, elle touche.

Écoutez-la à ses derniers moments :

« — Ma sœur, » dit le curé qui vient lui administrer l’extrême-onction, « ceci n’est point un appareil lugubre, ni une cérémonie funèbre. C’est la religion qui vient consoler votre âme, conjurer en vous l’esprit du mal, et racheter les péchés de votre jeunesse. Acceptez le divin sacrement qui purifiera vos sens et sanctifiera votre cœur.

« — Ai-je péché, » s’écria-t-elle, « et qu’ai-je à purifier ! qu’ai-je à racheter, moi qui n’ai pas connu la vie ? »

Le prêtre insiste :

« — Que sont les vanités du monde… ?

« — Je ne les connais pas.

« — L’amour humain n’est qu’une chimère ; ses joies sont méprisables et impures.

« — Qu’en savez-vous, vous qui n’avez point aimé ? Ce n’est pas vrai ! La fille de Jephté a pleuré devant Dieu parce qu’elle mourait sans être mère… »

Les dernières paroles qui s’échappent de sa bouche mourante sont une protestation, un cri d’amour qui lui fait tout pardonner :

« — Maman, empêchez que Lucie ne meure comme moi ! »

Il faudrait tout citer et textuellement. Obligé de me restreindre, je sens qu’en morcelant ces phrases, j’en atténue l’effet. Il faudrait transcrire entières ces pages remarquables, depuis la visite du prêtre et l’affreuse agonie de la pauvre enfant jusqu’aux plaintes de la mère :

« — Aurait-on cru qu’elle devait mourir quand elle marchait toute petite avec ses souliers bleus et sa robe blanche, si fraîche et si rose alors ! Nous avions pleuré de joie de lui voir faire ses premiers pas… »

Tout cela est simple, tout cela est parfait. Et tant s’en faut que cette scène soit isolée dans le roman et brille aux dépens des autres. Il y en a d’un dramatique terrible, comme celle du bois des Berjottes ; il y en a de gracieuses, comme la promenade sur la rivière,