Page:Leo - Une vieille fille.pdf/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miront pas longtemps, car, grâce à l’activité, à l’intelligence de Michel, l’aisance entrera au logis.

Après le personnage de Lucie, citerai-je celui de Clarisse, sa sœur aînée que j’ai nommée tout à l’heure ? Plus achevé, encore mieux rendu peut-être que celui de Lucie, avec lequel il est en opposition nécessaire, il développe et complète la pensée du livre. Clarisse est le déplorable type de ces pauvres filles que les exigences du luxe moderne et les convenances sociales condamnent à un célibat où leur vanité s’obstine et contre lequel leur cœur se révolte : isolement douloureux qui éteint peu à peu les sentiments généreux du jeune âge.

Nous n’avons vu nulle part tracée avec autant d’énergie la saisissante figure de ces vieilles filles de vingt-sept ans à la fois victimes et complices d’une loi cruelle, à qui la pauvreté, comme jadis les vœux monastiques, impose des vœux perpétuels qu’elles n’osent rompre de peur de déroger. Nul romancier ne nous avait fait suivre avec cette rigueur l’étiolement, la flétrissure de la beauté de l’âme et de celle du corps au sein de cet abandon ; aucun n’avait traduit avec tant de puissance cette amertume, ce déchirement intime, ces cris d’angoisse bâillonnés par l’orgueil.

C’est une des conceptions les plus hardies du roman moderne que celle de ce caractère aigri qui provoque à un degré presque égal la sympathie et l’éloignement. Pauvre Clarisse ! importunée autrefois d’une santé villageoise, elle a souhaité de maigrir afin d’avoir plus de distinction. Les déceptions, la misère, n’ont que trop bien exaucé ses vœux. Minée par une maladie fatale, elle s’éteint lentement : jouissances entrevues de la richesse, délices souhaitées de l’amour et de la maternité, tout ce qui fait l’éclat de l’existence et tout ce qui en fait le prix, biens faux ou vrais de la vie qu’elle n’a pas goûtés, occupent sa pensée sur son lit de douleur et jettent dans son cœur un assemblage de désirs légitimes ou malsains, de regrets amers et confus. Elle reproche durement à sa sœur la bassesse de ses inclinations ; elle est jalouse pourtant de cet amour qu’elle dédaigne.

De toutes les mauvaises passions, écrivait M. Murger, l’envie est celle qu’on a le droit de condamner sans lui permettre de se défendre, car celui qui absout un envieux ou le plaint seulement fait