Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle éclaircissait et sarclait les fraisiers, greffait quelques belles roses dans la haie sur de vigoureux églantiers, et de sa petite main armée d’un sécateur elle achevait de tailler les arbres fruitiers, d’après les leçons qu’elle avait reçues de son oncle.

Cependant, sous l’éclat des premiers soleils, le jardin offrait un aspect fort triste. Des six carrés qui le composaient, un seul avait été bêché, et les cinq autres gardaient encore sur un sol compact les débris des végétaux de l’année précédente, mêlés à des touffes d’herbes folles. Ce n’était pourtant pas Lucie qui pouvait remuer et ensemencer tout cela.

Un matin, vers dix heures, Lucie était au jardin. Elle venait de donner à ses fraisiers un dernier coup de sarcloir, et, tandis qu’elle s’appuyait au tronc d’un vieux pécher, haletante et la figure empourprée, elle regardait avec désespoir tout ce terrain infertile où s’étalaient joyeusement, comme des vagabonds dans un palais, sauges, lauriers pourprés, tithymales, séneçons et marguerites. À ce moment, M. Bertin parut. Il tenait ses mains croisées derrière le dos, et marchait les yeux fixés à terre. Sa figure enluminée, aux joues épaisses, était empreinte contre l’ordinaire d’une grande tristesse. Lucie, préoccupée de son côté, n’y fit pas attention d’abord, et, passant le bras sous celui de son père :

— Cher papa, dit-elle, décidons quelque chose, voyons ! Le jardin ne peut rester ainsi. Puisque Luret ne vient pas, nous ne pouvons faire autrement que de prendre un autre jardinier.

M. Bertin haussa les épaules.

— Eh ! je te l’ai déjà dit, Lucie, Luret nous doit de l’argent, et c’est pour cela qu’il faut l’employer ; autrement il ne nous payerait jamais.

— Ne vois-tu pas, cher père, qu’il y met de la mauvaise