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sions du passé, vivant au jour le jour, c’avait été une lumière sinistre éclairant l’abîme. Aurélie, jeune femme, reléguait déjà Clarisse et Lucie au rang des filles mûres ; et forcés de constater ce fait, contraints par là de supputer les chances d’avenir que possédaient leurs filles, à quoi pouvaient prétendre, que pouvaient espérer M. et Mme  Bertin ? Malgré l’insouciance naturelle de l’un et les rêveries enfantines de l’autre, ils étaient donc préoccupés, et Clarisse et Lucie parfois surprenaient une inquiétude amère dans les regards de leurs parents attachés sur elles.

Pour elles aussi la vie s’était faite plus silencieuse, plus sombre, et la demeure où elles étaient nées, qu’elles aimaient, leur paraissait par moment obscure et froide comme un tombeau.

Chez Clarisse, d’ailleurs, cette impression existait depuis longtemps. Quand, au sortir des appartements de sa tante, elle rentrait dans le réduit délabré qu’ils appelaient le salon, toujours une horrible tristesse lui serrait le cœur. Depuis l’annonce du mariage de sa cousine, elle était visiblement plus souffrante, et ne quittait guère le coin du feu, en dépit du gai soleil d’avril qui chauffait la terre, et du renouveau qui se faisait partout, dans la prée où s’épanouissaient les violettes, dans le jardin où boutonnaient les lilas, dans la cour même où les poules faisaient entendre de maternels gloussements, parmi l’herbe reverdie où les pigeons roucoulaient éperdus d’amour. Couverte d’un châle et les pieds sur sa chaufferette, elle brodait languissamment, recueillie dans ses pensées, ou bien, ouvrant de romanesques bouquins déjà lus et relus, elle se plongeait dans une lecture que sa toux sèche et fêlée interrompait fréquemment.

Moins gaie qu’autrefois, Lucie était devenue plus active encore. Après s’être acquittée des soins domestiques, elle jetait quelquefois sa broderie et courait au jardin. Là,