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ronflait déjà. Il ne faisait pas froid dehors. La lune, glissant entre les nuages, éclairait les objets d’une faible lueur, et un vague murmure qui s’élevait des champs semblait la respiration calme et douce de la nature endormie. Chaussées de leurs sabots et précédées de M. Bertin, qui portait le fallot, ces dames traversèrent les rues boueuses du village. Déjà presque toutes les maisons étaient fermées et silencieuses, excepté les cabarets, d’où, par les fentes des volets, s’échappait la lumière avec les chansons entrecoupées des buveurs.

— Ces chants-là, dit M. Bertin, feront pleurer femmes et enfants pendant la semaine.

— Hélas ! répondit sa femme, les égarements du vice plongent dans l’abîme de toutes sortes de maux !

Lucie pensa aux enfants de Luret, leur voisin, auxquels elle portait quelquefois dans ses poches le pain de son goûter et qu’elle soupirait de voir en haillons et nu-pieds sans pouvoir leur venir en aide. Leur père était là sans doute, comme il avait habitude le dimanche, et trop souvent le lundi.

Arrivés devant chez la mère Françoise, ils virent sa petite maison éclairée, et comme on n’avait fermé que le clion[1], laissant la porte ouverte au bon air du soir, ils entendirent une voix pleine et douce qui lisait. M. Bertin ayant regardé sans façon par-dessus la claie, vit que c’était Michel qui faisait la lecture à sa mère.

— Bien ! bien ! dit-il, en voilà un qui passe honnêtement sa soirée du dimanche ! Savez-vous ce qu’il lit ? Ça n’est pourtant pas bien gai. C’est les Conseils aux agriculteurs, dans l’almanach. Peut-être n’ont-ils pas d’autre livre ? Il faudra leur en prêter.

  1. Le clion est une claie d’environ quatre pieds de haut, qui protége la demeure du paysan contre l’invasion des animaux domestiques, sans intercepter comme la porte, l’air et la lumière.