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vez, ont l’habitude de féminiser pour les femmes le nom de famille : Mme  et Mlle  Perronneau ont donc beau se vêtir de soie et se couvrir de chaînes d’or, elles ont donc beau redoubler d’orgueil et d’insolence, elles ne seront jamais que les Perronnelles dans la bouche de tout le pays.

Au bout d’une heure de dissertation sur le Journal des demoiselles, Aurélie emmena ses compagnes visiter les serres. Là, toujours parfaite, et répondant à leurs questions avec cet air d’angélique bonté qu’elle empruntait aux héroïnes de son journal, Mlle  Bourdon s’occupa symétriquement à confectionner des bouquets bien ronds pour Mmes  Bertin et pour sa mère. Tout, dans l’air de cette jeune personne et dans son attitude, disait perpétuellement : Je fais ce qui doit se faire. Certes, elle était irréprochable de la tête aux pieds, depuis son peigne jusqu’à la semelle de ses bottines, et il n’y avait rien dans son ton qui ne fût noté par les convenances, comme il n’y avait rien dans son langage qui ne fût très-pur, comme il n’y avait rien dans ses paroles qui ne fût un modèle de politesse et de discrétion. Mme  Bourdon, une des femmes le plus comme il faut du département, avait formé là une élève accomplie. Aussi triomphait-elle dans son œuvre après dix-huit ans d’efforts incessants. Jamais Aurélie n’avait couru seule dans la campagne. Jamais elle n’avait joué comme Lucie avec des fils de paysans. Jamais elle n’était sortie sans être enveloppée d’un châle et bien gantée. Sa mère lui avait mis un corset dès l’âge de dix ans ; et longtemps avant cet âge pour adoucir ses mains et assouplir ses cheveux, savons fins et huiles parfumées avaient été mis en usage. Aussi maintenant passait-elle pour un type de distinction, et il fallait y regarder de près pour voir qu’elle avait la peau rude, le teint rougeaud comme son père, les cheveux gros, quoique d’un beau noir, les mains rondes et les ongles courts. Malgré