Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez grands, mais secs et vitreux, prenaient dans le commandement ou dans la colère une expression formidable.

— Vous vous imaginez peut-être, dit-elle à Gavel, que nous allons passer ainsi la journée. Pas du tout : c’est mon jour de réception, et les personnes les plus notables viennent dîner ce soir avec nous. Nous aurons avec le curé Mlle Boc, son amie intime, que vous avez déjà vue.

— Marche donc sur le pied de maman, souffla tout bas Lucie à sa sœur, assise près de Mme Bertin ; et Clarisse, allongeant doucement le pied, s’empressa d’arracher sa mère au somnambulisme qui mettait cruellement à l’épreuve la gravité de M. Gavel.

Enchantée d’entendre parler ses filles, Mme Bertin, d’abord, les avait écoutées avec complaisance, en hochant la tête et en souriant ; puis, comparant de nouveau Gavel au chevalier de Valmont, elle se plut à imaginer pour Clarisse et Lucie deux maris semblables. Vous l’eussiez vue mimer la demande, sourire au bonheur des fiancés, pleurer au mariage et presque danser à la noce. Au moment où Clarisse lui marcha sur le pied, déjà, d’une physionomie ravie et avec un mouvement auquel on ne pouvait se méprendre, elle berçait dans des berceaux de soie ses petits-enfants. Pauvre femme ! elle avait lu, commenté et relu tant de romans, que, sans doute par compensation aux tristesses de sa vie, elle aimait à se plonger mentalement dans le monde des faits romanesques. Cela était devenu chez elle une habitude involontaire dont on riait à la maison, et que Clarisse était chargée de surveiller en public.

Mlle Boc, dit M. Gavel ; un long nez pointu, n’est-ce pas, madame ?

— Eh ! que parlez-vous de son nez, cher M. Gavel ? n’avez-vous donc point entrevu sa langue ? Une vieille fille ! c’est tout dire ; mais celle-ci en vaut deux.