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qu’il semble, subir plus tôt ; mais la logique des impressions est science encore inconnue, et l’on ne sait pourquoi nous frappe aujourd’hui profondément et nous éclaire la vie, telle chose que jusqu’ici nous n’avions pas comprise et qui nous avait laissé froid.

Lucie restait donc là frissonnante sous la fraîcheur pénétrante du soir. De temps en temps elle essuyait ses yeux et livrait à l’air son visage, afin d’effacer les traces brûlantes de ses larmes. Mais toujours quelque amère pensée recommençait à les faire couler. Elle voulut se distraire par les souvenirs dont ces lieux étaient remplis pour elle. Cette ombre élancée là-bas, c’est le peuplier de la fontaine au bord de laquelle souvent, les dimanches d’été, elle va s’asseoir, un livre à la main, sur une pierre moussue, dans l’épaisseur de la double haie d’églantiers. Là, immobile, tournant doucement les pages, elle a vu de petits oiseaux venir boire et se baigner en secouant leurs ailes dans l’eau. Quelquefois elle entendait au-dessus de sa tête leurs petits pas sur les branches et leurs gazouillements. Un jour, un moineau curieux, traversant la voûte de feuillage, était venu près d’elle ; mais quand ses yeux eurent rencontré ceux de Lucie, vite il s’envola en poussant un cri. Que d’heures elle avait passées là, occupée des amours de Grandisson, de Paméla ou de Zaïre ! Oh ! mais qu’ils sont menteurs ces romans qui prétendent qu’une fille pauvre peut être aimée ! Cette pensée provoqua ses larmes de nouveau.

À l’aspect d’un vieux pommier dont la silhouette décharnée se dessinait dans le crépuscule, elle s’efforça de rappeler de joyeux souvenirs d’enfance. Elle avait joué souvent sous cet arbre avec ses jeunes amies et les deux fils de la mère Françoise. Il formait une salle magnifique, à voûte et à plancher de verdure, où le soleil semait des losanges d’or. On grimpait dans l’arbre pour