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tendant un avenir lointain d’amour et de mariage, comme un héritier présomptif sa couronne, et ne s’avisant pas que ce lointain, se rapprochant de jour en jour, aurait dû se montrer enfin présent et réel.

Elles étaient trois jeunes demoiselles à Chavagny, et, bien que Clarisse eût plus de vingt-six ans, Lucie vingt et dix-huit seulement Aurélie, tant que l’une d’elles ne se mariait point, la question dut mariage n’était pas posée, pour ainsi dire, et ce qui menaçait confusément ne s’affirmait pas d’une manière si arrogante et si cruelle. Mais le mariage d’Aurélie n’était-il pas pour Clarisse et pour Lucie la révélation des arrêts du sort ? Clarisse avait atteint vingt-sis ans sans qu’un mot d’amour eût été murmuré à son oreille, et sans que l’ombre d’un prétendant eût été entrevue sur l’humide seuil des Bertin. Le sort de l’aînée indiquait donc assez clairement la destinée de la cadette, et cette parole de Mlle Boc revint au souvenir de Lucie : Les filles riches n’attendent pas longtemps à se marier.

— Je ne me marierai donc point, moi ! se dit-elle. Que ferai-je alors ! Mlle Boc lui apparut comme le type futur de sa propre existence ; elle frémit d’horreur. Alors, comme on sonde de l’œil un précipice, elle creusa par la pensée tous les détails de cette vie sans amour, sans gaieté, sans intérêt, sans considération, sans appui, sans bonheur. — Quoi ! se dit-elle, l’avenir, qui distribue la vie aux hommes, n’apportera jamais rien pour moi ! Rien que des jours, rien que des heures toujours semblables ! Et quand seulement je me sens prête à vivre, déjà la vie serait finie pour moi ! Vivre sans but !… Elle se sentit pénétrée d’épouvante, son cœur se brisa, et elle se mit à pleurer abondamment.

Elle pleura longtemps. La nuit s’était faite. De grands nuages gris passaient sur le croissant de la lune qui jetait