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Puis, tout au fond, dans la plaine, mûrissait une nappe énorme d’épis dorés, beaux et gras comme ceux du songe d’Égypte. Les haies ne s’étalaient plus en fouillis inextricable, mais, réduites à la largeur nécessaire, elles n’en étaient que plus vigoureuses et plus fleuries.

Ce jour-là surtout, la prée était belle à voir, tant par ses haies couvertes de linge blanc éclatant au soleil, qu’à cause d’un groupe de femmes et d’enfants qui allaient et venaient portant du linge et des corbeilles, tandis qu’en bas, sous les peupliers, retentissait, coupant le babil des laveuses, le bruit du battoir.

— Maman ! s’écria le petit Lucien qui, échappant à sa grand’mère, descendit en courant. Mais entraîné par la pente, bientôt il chancela, et ses petites jambes ne pouvant s’allonger assez pour atteindre le sol fuyant, il roula quelques pas plus loin dans les bras de sa mère, accourue à sa rencontre.

Lucie était bien plus fraîche qu’au temps où l’on admirait à Poitiers son élégance et sa pâleur. Ses yeux brillaient, sous son front blanc, d’un éclat magnifique, et ses joues un peu hâlées, mais fermes et vives, témoignaient d’une santé parfaite. Pour soigner le linge plus commodément, elle avait relevé ses manches et montrait ses bras ronds, brunis au poignet, forts comme ceux d’une paysanne. Du reste, les inflexions arrondies de sa taille trahissaient une nouvelle grossesse ; mais elle la portait bravement et sans la moindre gêne, car, enlevant gaiement le petit Lucien dans ses bras, elle courut avec lui jusqu’au pommier sous lequel Gène était assise. Celle-ci tenait endormie sur ses genoux une petite fille d’environ quinze mois, qui sous le fichu entr’ouvert de sa mère tétait encore en rêvant.

Deux autres enfants jouaient dans la prairie ; c’étaient le petit Louis, fils de Gène, et Micheline, fille de Lucie.