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moi, je t’assure. Aime tant que tu voudras, mais avec décence, c’est-à-dire en secret, quand ton amour ne peut s’accorder avec les lois sociales. Voyons, Lucie, dit-il en se rasseyant près d’elle et en passant le bras autour de sa taille, tandis qu’il la regardait avec un sourire équivoque et des yeux brillants, tu n’es plus une petite fille et tu as bien compris déjà que le savoir-faire est tout en ce monde. Tu sais qu’il y a des femmes, et tu en as pu voir à Poitiers, qui, pour être mariées, n’en sont que plus libres, des femmes que cependant le monde traite avec respect. Tout leur talent consiste à garder les convenances et à faire que ce que tout le monde sait, personne ne soit en droit de l’affirmer. Il ne s’agit pour cela que d’avoir un vieux mari, bon enfant… comme il s’en trouve…, à l’aide duquel on peut impunément rendre heureux Michel ou François, sans se compromettre… Lucie, tu as tort, je te parlais en véritable ami.

Elle était debout devant lui, pâle d’une émotion qu’elle n’avait encore jamais éprouvée. L’étonnement et l’indignation luttaient sur ses traits. Enfin d’une voix émue : Je ne puis vous comprendre, ou vous m’insultez, dit-elle. En même temps elle sortit du bosquet et prit le chemin de la maison. Elle marchait droite, à pas tranquilles ; des pleurs limpides coulaient lentement sur ses joues, et tout dans son attitude était à la fois si noble et si doux, que M. Bourdon, riche nature déviée, en qui s’alliaient étrangement la fourberie et la spontanéité, se sentit ému. Il courut sur les pas de la jeune fille.

— Lucie, pardonne-moi, lui dit-il, et après ton mariage, comme avant, compte sur moi comme sur un ami.

Elle répondit en tremblant :

— Vous m’avez fait beaucoup de mal !

— Tu es un ange, et je ne le savais pas, dit-il en lui baisant la main. Pardonne-moi et ne refuse pas mon