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Mais mon excuse est fort simple, tu n’as que vingt ans, et dix années encore, tout au moins, de beauté. Cependant je n’aurais pas dû te laisser ainsi livrée aux folles inspirations du découragement et de la solitude. J’aurais dû te dire plus tôt ce que je projetais pour toi. Lucie, poursuivit-il en appuyant sa main sur le bras de la jeune fille, tu sais que j’ai des relations par toute la France, des amis, de l’influence, du crédit, de l’habileté. Ce que j’ai voulu, je l’ai toujours à peu près fait. De plus, je suis un homme d’honneur, et l’on peut se fier à moi. Romps dès demain cet indigne mariage, et d’ici à cinq ans, beaucoup plus tôt, je crois, je t’engage ma parole que tu seras honorablement mariée. Peux-tu hésiter, mon enfant ?

— Je ne sais pas, répondit-elle en tremblant, ce que je suis à vos yeux. Je ne sais pas si, en épousant Michel sans amour, je serais indigne ou sage ; mais je n’ai qu’un seul mot à vous répondre, c’est que je l’aime de toute mon âme (elle fondit en larmes à ces mots), et que je suis très-heureuse de m’unir à lui.

M. Bourdon fit quelques pas sans parler ; puis, saisissant la main de sa nièce, il l’entraîna dans le bosquet où il la fit asseoir.

— Écoute, dit-il en la caressant, je ne suis pas un rigoriste, moi ; je comprends que tu aies pu concevoir une passion pour ce jeune homme qui est beau, bien fait, qui a de l’intelligence et de la vivacité. Ces choses-là se voient et se produisent tous les jours, au sein de l’isolement, dans l’absence des objets de comparaison, faute de mieux enfin. Mais ce que je m’étonne que tu n’aies pas compris, Lucie, toi dont l’intelligence est élevée, c’est qu’on peut bien aimer dans ces conditions-là… Épouser ? jamais !

— Et pourquoi cela, mon oncle ? demanda-t-elle avec un frémissement des lèvres plein de dédain.