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tères, j’ai beau chercher, mon amie, je ne comprends pas comment les hommes ont pu établir ainsi des lois purement extérieures. Oui, vraiment, il y a parmi nous des races et des familles, mais regardes-y bien : ne vois-tu pas qu’elles sont répandues et mêlées dans toutes les classes ? Tiens, compare Mme Bourdon avec la Perronnelle. Sous des formes différentes, n’est-ce pas même ruse, même égoïsme et même avidité ? J’ai vu ailleurs la ressemblance plus complète, et cette même grâce féline si trompeuse jointe à ses formes arrondies. Émile, Isidore, Sylvestre, n’ont-ils pas tous les trois même docilité, même faiblesse, même niaise présomption ? Qu’y aurait-il d’incompatible, pour allier les plus vulgaires, entre Mlle Boc et le père Touron ?

— Ah ! mam’zelle Lucie, s’écria Gène en riant aux larmes, ils auraient caqueté nuit et jour.

— Ce n’est donc point entre une demoiselle et un paysan qu’un mariage devrait sembler inconvenant, ma bonne Gène, mais entre un homme et une femme différents de caractère, de goût et de mœurs. On dira ce qu’on voudra, le plus heureux des ménages, ce sera le nôtre, tu verras, avec le tien.

— Mariez-vous bien vite et soyez heureux, dit Gène avec tendresse ; moi alors je le serai tout à fait.

Lucie tenta l’épreuve le soir même. Mais tout d’abord elle se heurta contre l’emportement de M. Bertin et les répugnances de sa mère, d’autant plus invincibles qu’à présent elles restaient secrètes. Inexpérimentée comme on l’est à son âge, la jeune fille entreprit de vaincre en bataille rangée, et disputa le terrain pied à pied contre les préjugés. Les préjugés tinrent bon, et, contre les lois de la guerre, se laissèrent battre sans broncher.

— Quoi ! dit la jeune fille, vous aimez celui que j’aime ; toutes les vertus qu’il a, vous les reconnaissez en