— Et croyez-vous qu’elle ne pleurera pas dans dix ans, si rien ne change ? A-t-elle autre chose à faire ? Moi, si j’étais à votre place, je voudrais lui mettre l’année prochaine un beau petit marmot dans les bras pour l’occuper et la consoler. Savez-vous que Michel n’est guère content et qu’il me disait l’autre jour que vous ne l’aimiez pas autant qu’il vous aime ?
— Il a dit cela ? s’écria Lucie en rougissant.
— Oui, il a dit cela, parce que je le lui ai fait dire, et pas avec ce petit air que vous avez là, quoiqu’il ne soit pas gai, mais avec une si grande peine et un air si malheureux, qu’il m’en donnait envie de pleurer.
— Nous sommes bien malheureux en effet, dit Mlle Bertin en haussant les épaules, nous nous voyons tous les jours librement, et…
— Peut-être qu’il trouve que c’était plus doux de se voir en cachette, et qu’on est mieux pour causer d’amour sous les lilas que dans le salon. Et puis, ne savez-vous pas que les amoureux sont comme les enfants, qui demandent toujours à mesure qu’on donne ? Ne seriez-vous plus bien décidée à présent ?
— Moi, s’écria Lucie, moi, ne pas l’aimer toujours de même ! Oh ! Gène, quelle pensée !
— Ne vous fâchez pas, c’est Cadet qui me demandait ça. Michel ne parle jamais de vous à personne ; mais quand il n’est pas avec vous, il est si triste, que ça fait peine à voir ; et comme Cadet le questionnait l’autre jour qu’ils travaillaient ensemble, il a répondu : Je ne sais pas. Elle m’a dit hier qu’elle était heureuse ; il faut donc que ça continue comme ça, car si elle allait être malheureuse avec moi !… Puis il a parlé d’autre chose. Mais après ça, Cadet, qui le regardait en dessous, a vu ses larmes tomber à grosses gouttes dans le sillon qu’il bêchait.
Au commencement de cette dernière phrase, la voix de