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n’avez point aimé ? Ce n’est pas vrai ! La fille de Jephté a pleuré devant Dieu parce qu’elle mourait sans être mère. Ah ! qu’on me laisse, je souffre, je parle trop, je ne sais plus où je suis ! Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai pleuré, je ne veux pas le dire. Taisez-vous ! Maman, mon cerveau s’en va ! Retiens mes lèvres ! Ah !…

Elle ferma les yeux ; puis, cherchant la main de sa mère :

— Maman, empêche que Lucie ne meure comme moi.

Ses lèvres blanchirent, on la crut morte. Elle revint à la vie cependant, mais de toute la journée elle ne put parler. Dans la nuit suivante, elle eut un redoublement de fièvre et le délire. Elle évoqua certains personnages des romans qu’elle avait lus et dit :

— Au moins si je mourais, moi aussi, d’un chagrin d’amour !

Le lendemain elle demanda elle-même les secours de la religion, et parut avoir oublié la scène de la veille. Tant de songes fiévreux habitaient son cerveau qu’elle put confondre le rêve et la réalité. Le prêtre, rassuré, la déclara édifiante. Elle eut une agonie terrible. Le peu de forces qui lui restaient, ou seulement l’amour de la vie, luttèrent avec énergie contre la mort. Il fallut pour la maintenir et la préserver plus de force que n’en avaient les deux pauvres femmes épuisées, ni le père éperdu, ni Gène elle-même, qui n’abandonna pas Lucie pendant les trois derniers jours. Au milieu de ce désastre suprême, toute autre considération disparaissait. Michel, venu timidement pour savoir des nouvelles, resta par nécessité, et ce fut dans ses bras, au milieu de la nuit, qu’expira Clarisse.

Depuis plusieurs heures que durait cette affreuse agonie, Gène, dont la sensibilité nerveuse n’en pouvait supporter le spectacle, cédant aux prières de Lucie, s’était