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hotait sur le chemin étroit, encaissé, raboteux, qui va des Èves à Chavagny. La jument poitevine, aux pieds poilus, au large ventre, dont la croupe étroite projetait deux pics escarpés, accablée de fatigue, boitait tout bas, tandis que Bourguignon, qui marchait devant elle, tantôt l’encourageait de la voix : Hé ! la Rousse ! allons ! allons ! sens-tu pas l’écurie ? tantôt s’adressait à une forme humaine, enveloppée d’un manteau qui glissait dans l’ombre à côté de lui. Il gelait depuis plusieurs jours, le froid à cette heure était extrême ; dans l’ornière, la glace craquait sous la roue, et la terre était sonore sous les pas.

— Vous allez trop vite, au moins, mam’zelle, disait Bourguignon. La Rousse et moi ne saurions vous suivre. Hé ! hé ! vous êtes pressée de revoir vos mondes, ça se comprend. Mais qu’ils vont être étonnés, dà ! Puisque je vous ai dit que M. Bertin me disait encore, pas plus tard qu’avant-z-hier, que vous restiez à Poitiers jusqu’au Carême.

— Eh bien, il se trompait, répond la douce voix de Lucie.

— Ça se peut, mam’zelle, ça se peut ; après ça, personne sera fâché de vous voir, tout au contraire. Y en a même qui seront joliment contents ! À propos de contents, nous avions tous ces temps un gars qui ne l’était guère. Jésus, mon Dieu ! sait-on ce qu’il peut avoir ! Un si gentil jeune homme ! et si aimable ! et qui était autrefois gai comme un pinson ! À c’t heure, il ne fait plus que regarder dans les livres, et il se tient si propre qu’on dirait un monsieur ; sans compter qu’il devient fier et que pas une âme ne le voit plus. C’est-il drôle ça ! Vous savez ben qui je veux dire, mam’zelle Lucie.

— Oui, Bourguignon ; mais à présent que nous voici tout près du village, je vous souhaite le bonsoir et je prends les devants. Demain matin, vous m’apporterez ma malle, n’est-ce pas ?