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gneusement les Amours du chevalier Grandisson, Adèle et Théodore, et les Contes moraux, pour se familiariser un peu avec les mœurs et les dangers du monde.

Le 5 janvier, Lucie partit pour Poitiers avec son oncle Bourdon. Elle était profondément triste, et son amour-propre souffrait presque autant que son cœur. Chargée de toutes les espérances de sa famille, elle allait au-devant de déceptions que son bon sens lui faisait préjuger inévitables, trop femme pour ne pas souffrir de sa défaite, trop aimante pour ne pas redouter un triomphe qui eût attiré sur son amour de nouvelles persécutions.

Elle emportait de plus une commission secrète assez embarrassante. Quelques jours avant son départ, Lucie avait rencontré la Mourillon qui semblait la chercher, et qui l’avait priée, puisqu’elle allait à Poitiers, de s’informer à l’hôpital de l’enfant de Lisa. — Car sa fille ne faisait que pleurer en y pensant, et même la nuit, en rêve, quelquefois, elle baillait des bramées qui les faisaient tressauter dans le lit. Un soir, qu’elle avait vu comme une chandelle dans un coin de la chambre, elle s’était évanouie en disant que c’était l’âme du petiot qui venait lui reprocher sa mort, et mêmement elle, ne voulait point se marier, quoique Jean l’en pressât fort, de l’idée qu’elle avait de reprendre un jour l’enfant quand il serait grand, et qu’il pourrait seulement conduire les oies. Donc, il fallait savoir à quoi s’en tenir, car si le petit était mort, elle n’aurait plus de raison pour ne pas se marier, et s’il vivait, eh bien, peut-être pourrait-on décider Jean à le prendre tout de même, puisqu’il aimait tant Lisa.

Les jours chez les Bertin se passèrent tristement après le départ de Lucie. Avec son courage, sa douceur et sa fraîche jeunesse, elle était à elle seule toute la vie de cette maison. Clarisse elle-même regrettait ses soins et sa complaisance.