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pas, mam’zelle Lucie, que c’est tout le portrait de sa mère, la petite Lisa Mourillon ?

Ce nom fut un coup de foudre. Mme Bourdon pâlit. Aurélie, qui ne savait pas tout, fronça légèrement les sourcils. Quant à Gavel, il recula comme un homme qui voit un précipice ouvert sous ses pas, et une lueur étrange éclaira son visage pâlissant. Qu’éprouvait-il ? Peut-être ne le savait-il pas lui-même, plus occupé de se remettre que de s’interroger.

Mme Bourdon eut bientôt retrouvé son charmant sourire.

— Cette femme a eu raison, dit-elle. Avec un enfant dans ses bras elle eût été exposée sur le siége du cocher.

— Et puis, ce n’eût vraiment pas été convenable, observa Mme Gavel.

— C’eût été humain ! répliqua Mme Delbès.

— Eh sans doute ! dit Gavel d’une voix stridente. Mais tu sais, ma chère Fenella, que les convenances doivent passer avant tout.

— Pourtant il souffre, se dit Lucie.

La carriole s’était remise en marche ; on entendit encore entre deux cahots un vagissement plaintif.

Il n’est rien d’aussi éloquent dans la parole humaine que le cri du petit enfant. Ce cri résume toutes les impressions de l’être inhabile à s’exprimer autrement, et ces impressions, pour être simples et rudimentaires, n’en contiennent pas moins toutes celles qu’il essaiera plus tard en vain de rendre complètement dans un autre langage. Désir, colère, apaisement, joie, regrets, plaisir, tristesse ou malaise, tout se trouve dans ces cris, si bien compris des mères et si irrésistiblement obéis, car c’est la langue primitive et universelle, dont le mensonge, la recherche, ni le sophisme n’ont point affaibli l’accent.

— Vous restez en arrière, Mlle Lucie ? dit Mme Delbès en s’arrêtant pour attendre la jeune fille.