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chions tout près l’un de l’autre, vous traçant le sillon, moi jetant la semence à mesure. Je ne savais pas alors que vous m’aimiez ; mais je voyais bien que vous me regardiez toujours.

— Eh oui, s’écria-t-il, c’est beau ! c’est charmant ! Je ne peux pas vous dire, Lucie, combien j’aime la terre. Ah ! chère petite femme, quand sèmerons-nous ensemble notre jardin ? Oui, les autres états doivent être bien tristes, quand, au lieu de travailler en plein air, dans le grand espace, il faut être enfermé dans une petite chambre, comme un prisonnier. Et c’est toujours la même chose qu’on fait, n’est-ce pas ? et d’avance on sait ce qu’on doit avoir ; c’est bête ! Au lieu que nous avons, nous autres, toujours affaire avec du nouveau ; nous voyons tout croître et tout vivre sous nos mains, et quand on a semé avec grand espoir, quand on voit déjà les blés verts et les cerisiers blancs, on s’inquiète du temps, on craint la gelée, on demande la pluie ou le soleil. A-t-il paru des hirondelles ? ou quelque procession de fourmis par le chemin ? le coucou chante-t-il ? la lune est-elle brillante ? voit-on l’araignée danser au bout de son fil ? les grues ont-elles passé ? de quelle couleur ce soir étaient les nuages ? Pourtant, on n’y perd jamais grandement ; car si le blé est rare, il se vend cher ; s’il est bon marché, c’est qu’il y en a beaucoup ; donc, on ne manque point. Et du reste ainsi. Oui, ma Lucie ; mais le premier bonheur c’est de vous avoir, vous ! Ainsi donc, pensez tout de même à ce que j’ai dit.

— Je pense que nous n’en devons plus parler, répondit-elle. Considérez, Michel, que n’étant pas de famille bourgeoise, et n’ayant pas de protections, tout ce que vous pourriez obtenir, après bien des peines, ce serait une place de quinze cents à deux mille francs. Eh bien, il faut songer… Quand nous serons mariés…

Elle hésitait et la rougeur s’étendait sur son visage ; il