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vous aimer, vous chérir, vous servir de toute ma force et de toute mon âme, vous ne serez pas heureuse avec moi.

Elle eut beau chercher à le rassurer par des paroles tendres, il restait comme anéanti de tristesse. À la fin, il dit :

— Conseillez-moi, Lucie. Est-ce que ça serait impossible que je devienne dans dix ans un homme comme on vous en voudrait un pour mari ? Cherchons quel état je pourrais apprendre : Les routes ? comme M. Berthoud. Les chemins de fer ? Faut-il que j’essaie d’être notaire ? ou percepteur ?…

Elle secouait la tête doucement en le regardant d’un air attendri.

— Ah ! Lucie ! vous ne savez pas ce que je pourrais faire pour vous gagner, vous ! Dans un an seulement, je saurais bien des livres.

— Oui, j’en suis sûre, vous réussiriez, Michel ; mais vous souffririez beaucoup. Depuis vingt-deux ans que vous vivez en plein air, au milieu des champs, comment voudriez-vous rester immobile tout le jour dans une chambre étroite, courbé sur une table et n’exerçant plus que votre cerveau ? Ce serait cruel et dangereux pour vous. Et puis enfin, pourquoi tout cela, mon ami ? Ce serait uniquement pour l’opinion, car pour moi je trouve que vous avez le plus bel état du monde. Je ne sais rien de plus charmant que d’être ainsi en communication avec la nature. Vous souvenez-vous, quand nous semions des pommes de terre ensemble ce printemps ? Je me rappelle ces jours-là comme des jours de fête. Il faisait si beau ! On n’avait pas assez de ses yeux pour regarder le ciel et la terre ; on n’avait pas assez de sa poitrine pour respirer le bon air tiède et parfumé. La terre, encore pleine de l’humidité de l’hiver, fumait sous votre bêche ; nous mar-